Certains ont paru surpris de me voir lire un roman au titre et à l’apparence aussi macabres. Je connais l’auteure par ses Chroniques blondes , par les épisodes web Chez Jules.TV, et finalement par facebook. J’ai décidé de lui faire confiance ; il n’y aurait pas le sang pour le sang, le dégueulasse pur et dur pour exploiter le sensationnalisme. Elle a amplement mérité cette confiance. Ma lecture a dépassé mes attentes, assez pour remettre en question que « le polar, ce n’est pas pour moi».
L’histoire apparait tout simple ; Antoine Gravel, parce que paumé, se plie au désir d’une productrice qui lui commande un scénario précis inspiré de l’histoire de Maria Goretti, cette jeune fille de 13 qui a dit « non » à son prédateur. On suivra de près le scénariste dans les méandres de son inspiration, étouffé dans ses élans créatifs par l’aspect « commande ». Le métier de scénariste en prend pour son rhume. Si on s’y fiait, on pourrait presque dire que celui qui sert le café sur les plateaux de tournage est mieux considéré !
Antoine Gravel est un bon gars, ne serait-ce parce qu’il vit et sympathise avec un cochon. Ce lien pour le moins bizarre ne l’empêchera pas de s’attacher à de grandes blessées du cœur, une femme restauratrice et sa très délurée fille. Par elles, et pour son scénario, il se faufilera dans une réalité qui s’évertuera à dépasser la fiction.
Il sera beaucoup question de cinéma. On fera connaissance avec un caméraman amateur qui poursuit des objectifs troubles avec son objectif. Et quand je dis faire connaissance, je parle jusqu’à l’intimité de ses pensées.
J’ai admiré que Geneviève Lefebvre arrive à me faire entrer dans la peau d’un pédophile. Combien de fois, en écoutant les horreurs du journal télévisé, me suis-je frappé la tête sur un mur : « quelle est la logique de ces gens-là ? » Je gagerai que l’auteure s’est penché sur leurs cas, car les motifs de ces détraqués me sont apparus répondre à une logique interne qui, n’en étant pas moins profondément perverse, fait un sens pour eux. Bref, le portrait était des plus crédibles, parce que pas uniquement traité en surface.
C’est un roman qui fait ressortir les contrastes ; la pauvreté versus la richesse, le pouvoir et sa victime, la jeunesse, la maturité, la bonté, l’exploitation. Un autre thème, celui-là cerné jusqu’à l’acculer au mur : l’apparence trompeuse. Un atout dans plus d’un roman, mais ici je l’ai trouvé particulièrement bien joué.
Le style de l’auteure est éveillé, alerte, vif. Il m’a semblé que le désir de faire de l’esprit était fort. Peut-être est-ce la nature de l’auteure, en tout cas, cela donne un style qui persiste dans l’humour. Ce n’est pas un mal en soi, en autant que ça ne soit pas pour plaire mais au service de l’histoire. Je l’ai surtout remarqué au début, peut-être que moi ou l’auteur, n’étions pas encore entrée dans le vif – et stressant - de l’histoire. Il m’est apparu évident que Geneviève Lefebvre est une femme d’opinions fermes qui passent naturellement par la voix de ses personnages.
Justement parce qu’on y compte les morts, ce roman aborde la vie. J’ai aimé qu’une ligne conductrice mène les diverses histoires faisant ressortir le pouvoir de la victime. Ça fait réfléchir au prix de la liberté de dire non. Ça fait réfléchir que, même en bas âge, tu n’es pas que prisonnier de ton « bourreau » mais aussi de ta peur, ou de tes trop vifs désirs. Et le message en filigrane : la complicité silencieuse à un crime est une forme de participation.
J’ai également aimé que l’histoire soit si forte que j’en oublie de tenter de deviner qui est le ou les coupables !
Je compte les morts, Geneviève Lefebvre - Libre Expression, Expression noire, 320 pages, décembre 2009.