De Lewis Hine, montré jusqu'au 18 décembre à la Fondation Henri Cartier-Bresson (l’exposition ira ensuite à Mapfre à Madrid, puis au Musée de la Photo de Rotterdam), on connaît surtout le travail de dénonciation des conditions de travail des enfants au début du XXème siècle : non content de prendre en photo ces enfants dans leurs usines, il documente, écrit, milite, publie des pamphlets. Il s’inscrit dans un courant réformiste pour qui mettre en évidence un problème entraînera nécessairement un remède, une solution. Ses images sont très construites, la plupart du temps mises en scène et posées, à une époque où on se soucie plus d’impact que de vérité, et il excelle dans les compositions de groupe, comme ces enfants trieurs de charbon (1912) dans une mine des Appalaches, étagés sur des bancs comme des spectateurs, dans l’attente du flash (dans une lettre affichée dans l’exposition, Hine parle avec humour de son équipement lourd, lent et incommode). Les visages maculés de charbon semblent blanchis par la lumière du flash, et l'éclat du jour à l’arrière-plan donne une atmosphère irréelle à cette scène, mais il n’en reste pas moins que ce sont là des gamins exploités et que, pour témoigner courageusement , Hine descend dans la mine avec sa lourde chambre.
Reporter débutant, Lewis Hine va photographier les immigrants à Ellis Island, il se confronte à la misère du monde; ce ne sont pas des types ethniques qu’il saisit, mais des individus, des familles qui posent pour lui, le regard droit, fier, à la veille d’une nouvelle vie. Cette jeune juive (à gauche, 1905) m’a frappée par sa beauté chaste et digne, par sa réserve et son espoir. Après la 1ère guerre mondiale, Hine part dans les Balkans avec la Croix Rouge et en rapporte de nombreuses photos de réfugiés. J’ai vu dans cette Tsigane de Salonique (à droite, 1918) aux yeux immenses la même beauté,
À son retour d’Europe, le travail de Hine change assez radicalement, son réformisme libéral est alors moins en phase avec la radicalisation de la critique sociale et l’influence communiste, alors grandissante, et il évolue vers une glorification du travail manuel, une collaboration avec les industriels humanistes. Il avait certes déjà fait des portraits de travailleurs nobles et dignes : cette photographie de 1905 d'un imprimeur à l’ancienne est titrée « Joy of Work » et il a en effet fière allure, ce patriarche aux cheveux blancs, démiurge inspiré et romantique qui semble être pianiste ou sculpteur (ou archange) plutôt que prolétaire exploité.
La grande dépression le ramènera vers la misère, mais il ne fera pas partie du programme rooseveltien de la FSA : plus romantique que documentaire, plus réformiste libéral que radical, plus adepte de la pose que de l’instantané, il a fait son temps; il mourra dans la misère en 1940.
Son approche ‘performative’ de la photographie a fait qu’il ne soignait guère ses tirages, destinés à l’imprimerie et non à l'exposition, et qu’il se plaçait, la plupart du temps, aux antipodes du pictorialisme bien léché. C’est plus
Le catalogue est très intéressant, avec un fac-similé de son unique livre Men at Work. Toutes les photographies proviennent de la George Eastman House. Conférence de Vincent Lavoie sur Lewis Hine à la Fondation HCB le 30 novembre à 18h30.