Quel meilleur choix pour la rentrée des galeries que de mêler un peu de nostalgie sulfureuse, un hommage historique à un artiste disparu et un mélange de fascination et de recul ? C’est ce que propose Patricia Dorfman (jusqu’au 24 septembre) autour de Piège pour un Voyeur, une installation de Michel Journiac datant de 1969 et réactivée aujourd’hui pour la première fois (comme cette galerie l'avait déjà fait pour une autre pièce de Journiac). Elle fit scandale à l’époque, paraît-il, première exposition d’un corps masculin nu dans une galerie, affirmation de l’homosexualité de Journiac et gêne des visiteurs (encore que ce faune intrusif sur la photo d’époque en noir et blanc ne semble guère gêné...)
On peut donc voir un jeune éphèbe dans le plus simple appareil assis au sol sur une combinaison de peintre en bâtiment labellée Journiac. Mais peut-on le voir vraiment ? Non qu’on détourne le regard, aujourd’hui moins prude qu’il y a 40 ans, mais le jeune homme est enfermé dans une cage dont les barreaux sont des néons éblouissants qu’on ne peut fixer sans malaise, et qui réchauffent abondamment l’atmosphère. Entre ces deux éblouissements, celui de Ganymède et celui du néon, et ces deux bouffées de chaleur, celle du désir et celle du néon, le spectateur tourne et se détourne, n’osant guère se figer frontalement, face à face, au risque d’une apoplexie aux causes ambiguës. Parfois le jeune héros se relève, endosse sa combinaison et va fumer, ou lire. Le piège se distend, nous libère.
On peut alors regarder des icônes à fond d’or où s’affiche une extase cousine de celle de Sainte Catherine, mais gay et contemporaine (Journiac, Les icônes du temps présent, 1988), ou bien cette femme nue qui prétend s’inscrire dans la lignée de Titien ou de Modigliani, mais peine à convaincre (Tursic & Mille, Cover 604, 2008). On regrette un peu de ne pouvoir jouer avec les cartes pornographiques de France Fiction enfermées dans leur vitrine, qui perdent ainsi de leur pertinence. On reste distrait.
Mais heureusement le fond de la salle s’orne d’une frise d’aquarelles de Rebecca Bournigault, corps nus pénétrés et pénétrant, prélevés sur un site pornographique selon un mode qui lui est cher (ainsi, ses émeutiers), qui se voient d’abord à travers la lumière vibrante des néons, comme un mirage, en résonance parfaite avec l’Apollon encagé (Le corps, cet objet du XXIème siècle, 2011). L’alignement de ces petites feuilles au mur se termine par cette femme jouissant, tête renversée en arrière, bouche entrouverte, infiniment plus sexy et suggestive que les couples en position qui la précèdent (mais j’ai toujours préféré les images allusives, dans lesquelles le voyeur se laisse piéger bien plus subtilement).
Photos 2 & 4 courtoisie de la galerie; autres photos de l'auteur. Michel Journiac et Rebecca Bournigault étant représentés par l'ADAGP, les reproductions de leurs oeuvres seront ôtées du blog au bout d'un mois.