Le planning de l’Étrange Festival est parfois étonnant. Passée la constatation amère que les films des nuits spéciales n’étaient pas repris en programmations individuelles au cours des jours suivants (sûrement pour s’assurer de faire le plein ?), il a fallu accepter que certains des autres films n’avaient eux aussi droit qu’à une seule projection durant le festival… et malheureusement des films particulièrement attendus pour certains. Ce serait le cas le lendemain pour Revenge : a love story, dont je parlerai dans mon prochain billet, mais ce fut surtout le cas mercredi de Super, un des films américains à la réputation la plus béton de l’année.
J’en connais qui ont dû renoncer à venir le voir dans la grande salle du Forum des images cette semaine, à contre cœur, car le choix du festival de ne le passer qu’une fois, un jour de semaine, à 16h30, les empêchait la mort dans l’âme de venir se régaler du film de James Gunn. Ils le regrettent d’autant plus que Super ne sortira vraisemblablement pas en salles en France, promis qu’il est à une sortie en DVD. Et ils le regrettent ENCORE plus depuis cette fameuse unique séance qui confirme que oui, Super est bien une petite bombe du cinéma indépendant américain.
Rainn Wilson, bien connu des amateurs de la version américaine de la sitcom The Office, y incarne Frank, un type banal qui fait la cuisine dans un diner et est marié à une ex-junkie/alcoolique (qui a les jolis traits de Liv Tyler, quand même). Mais lorsque qu’un caïd au nom diaboliquement français (Jacques) lui pique sa dulcinée, Frank devient triste… et se fout en rogne. Inspiré par un super-héros de sitcom évangéliste, il décide de se fabriquer un costume et d’aller affronter le crime dans la rue, armé de sa bonne volonté… et d’une clé anglaise. Avec en ligne de mire finale, Jacques le voleur de femme…
Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser à Kick-Ass, avec ce combattant du crime amateur se prenant pour un super-héros, d’autant que comme dans le film de Matthew Vaughn, la violence est présente à l’écran, même si essentiellement dans le dernier acte. Certains avaient reproché à Kick Ass un certain ton réac’, dans le fait de voir cette gamine tuant à tout va aussi facilement et naturellement que si elle jouait à la marelle. Mais le film restait fun et coloré, quand on se surprend à trouver un ton moins grand public dans Super. Le film est étonnamment triste, sombre et désenchanté. James Gunn, dont on a pu se régaler déjà par le passé de son Horribilis, porte un regard sur l’Amérique des marginaux et des loosers qui surprend. Le héros est, du point de vue de la société, un looser, et le reste tout du long.
A travers ce super héros ordinaire qui se laisse guider par des voix et des hallucinations, Super se pose également en discours sur la religion, et la place envahissante qu’elle prend aux États-Unis. Et lorsque Frank pète les plombs et prend les armes, James Gunn s’attaque à l’action personnelle en opposition à la justice, à ce rapport qu’entretiennent ses concitoyens avec la violence et la peine de mort. Le dernier acte surprend, par sa noirceur, sa soudaineté, et la violence qui en découle. Gunn édulcore les images avec un ton BD, mais le choc reste et fait glisser le film dans une mélancolie certaine. Qui l’eut cru d’un film avec un tel pitch ?
Pour autant on rit également devant Super, et pas qu’un peu. Derrière cette amertume et cette violence, l’humour est presque de tous les plans, grâce à un Rainn Wilson parfait en Crimson Bolt, alias L’Eclair Cramoisi en français, grâce à Ellen Page, joliment espiègle et charmeuse en Boltie, alias Cramoisette, et surtout grâce à un ton parodique constant qui fait naviguer le film avec aisance dans le second degré. Super ? Super !
Hasard de mon agenda, j’ai enchaîné quelques heures plus tard avec un vrai film de super-héros, hors du cadre de l’Étrange Festival. Les lunettes 3D collées sur le nez (j’ai attendu des semaines dans l’espoir de le voir sans la 3D, en vain), je suis allé découvrir Captain America – First Avenger de Joe Johnston. Le contraste de ton et de moyens était bien sûr saisissant avec Super, mais malgré les deux univers différents, les films ne sont pas antinomiques, et en fin de compte, malgré l’éternelle 3D dispensable, Captain America pourrait bien être un de mes films Marvel préférés. La faute (mais ce n’est est pas une) à une mythologie bien traitée et amenée, à une direction artistique remarquable dans ces décors de 2nde Guerre mondiale, à et un regard sur l’image véhiculée par les Etats-Unis, son rapport à la guerre, qui en font un spectacle qui ne se contente pas d’être joyeusement ludique, mais également historiquement ancré, avec panache. Lorsque Captain America, pas encore héroïque, vadrouille à travers le pays pour faire le clown et financer la guerre, on pense même à Mémoires de nos pères, le beau film de Clint Eastwood.
On mord également à l’hameçon avec plaisir grâce à une distribution impeccable, d’un Chris Evans souvent palot qui incarne Steve Rogers à merveille à un Stanley Tucci trop peu présent en mentor scientifique. Quant à Hayley Atwell, elle est peut-être le love interest le mieux écrit, et sans l’ombre d’un doute le plus agréable à regarder, de l’histoire des films de super héros. Certes le dernier acte s’affadit un peu, ne se montrant pas à la hauteur du reste du film, mais il y a suffisamment de qualités dans ce Captain America pour enthousiasmer les amateurs de cinéma hollywoodien offrant aventure et pouvoirs extraordinaires. Le contraire de Green Lantern en somme…Les super héros, vrais ou faux, étaient à l’honneur aujourd’hui, et ils me l’ont joliment rendu.