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Les caractères de la politique (2) : l’effarouché des sondages

Publié le 09 septembre 2011 par Variae

Pour ce deuxième volet des « caractères de la politique », je vous demanderai, chers lecteurs, de ne pas vous départir d’une certaine gravité. Car c’est aujourd’hui de rédemption et de rechute que nous allons parler. Une histoire difficile, donc. Celle de l’effarouché des sondages.

Les caractères de la politique (2) : l’effarouché des sondages

Vous en avez sans doute déjà croisé un. Rappelez-vous. Vous discutiez tranquillement de l’actualité, de politique, de l’image de tel ou tel responsable auprès des Français. Tout allait bien. Et puis d’un coup – tout a changé. Vous avez prononcé un mot tabou. IPSOS. SOFRES. IFOP. Peut-être même avez-vous, dans un moment d’inconscience il est vrai, articulé un téméraire Opinion Way. Que n’aviez vous tenu votre langue ! Votre interlocuteur – un spécimen d’homo effarouchus sondagus – s’est alors réveillé. Son débit de parole s’est accéléré, son volume sonore a doublé, ses yeux sont comme sortis de leurs orbites rougeoyantes. « COMMENT ! », a-t-il glapi. Comment vous, qu’il prenait jusqu’alors pour un individu raisonnable et d’honnête compagnie, pour un citoyen averti, comment avez-vous pu croire à cette puissance d’intoxication au service des lobbys, du capital, des patrons de presse, de la franc-maçonnerie ? Comment avez-vous pu prêter attention aux SONDAGES, cet artifice diabolique fomenté dans les rédactions perverses du Figaro ou du Point ? Sur ordre direct d’une cellule occulte de l’Élysée, et avec un financement en provenance du Siècle ?

L’effarouché a alors déployé des talents scientifiques que vous ne lui soupçonniez pas. Il s’est lancé dans d’aussi vibrantes que savantes démonstrations renvoyant la science sondagière à un vague art de rebouteux, à peine plus sûr, et finalement moins honnête, que l’astrologie ; il vous a mitraillé, comme possédé, de considérations sur la méthode des quotas, la marge d’erreur, les sondés rémunérés ; il a disserté devant vous, avec l’assurance d’une médaille Fields, sur les biais sociaux des sondages par téléphone ou sur la taille idéale d’un échantillon. Il vous a détaillé avec un ton de conspirateur la structure actionnariale de tel sondeur, et dévoilé les liens du standardiste de tel autre sondeur avec un journaliste déjà surpris en train de discuter avec un proche supposé d’un dirigeant du MEDEF. Il vous a récité une dizaine d’exemples historiques d’élections au résultat inverse de celui prédit par les sondages. Il vous a enfin sommé de vous rendre à l’évidence : dans le meilleur des cas, les sondages sont toujours faux ; dans le pire des cas, ils sont ouvertement manipulés – d’ailleurs n’est-ce pas étrange qu’ils donnent toujours, depuis des mois, son candidat favori à moins de 10%, alors qu’il voit bien, lui, que tous ses voisins le soutiennent, ce candidat ? Il vous a, pour conclure, enjoint de signer sur le champ la pétition adressée par un député de sa connaissance à la Haute Autorité pour le Respect et la Dignité de la Vie Démocratique et Citoyenne, pour réclamer l’abolition des sondages et la mise sous tutelle populaire des instituts qui les produisent.

Vous êtes sorti de cette conversation passablement ébranlé. Tout d’un coup, tout votre environnement est devenu suspect. Ces couvertures de l’Express ou du NouvelObs qui vous narguaient sur les abribus, avec leurs pourcentages fielleux et leurs favoris fabriqués sur ordre du pouvoir financier ! Ces prétendues études qui voulez vous contraindre à voter pour le candidat de la pensée unique, celui qui ferait que rien ne change !

Quelques jours passent. Et puis, soudain, c’est le drame.

Une étude – une peccadille, une question sur la cote d’avenir des leaders politiques – montre un frémissement en faveur du candidat de l’effarouché. Oubliés d’un coup, les échantillons, sondages par téléphone et biais de réponse ! Mais non, se justifie-t-il tout en copiant-collant pour la 12ème fois sur Facebook l’article du Figaro résumant l’enquête. Justement, là, c’est différent : l’institut est fiable, les sondés suffisamment nombreux, et la cataclysmique progression de 5 points sur la catégorie des femmes seules de plus de 45 ans travaillant dans une exploitation agricole correspond tout-à-fait à la campagne de terrain menée par son candidat auprès d’elles. C’est bien la preuve, continue-t-il tout en votant et revotant fiévreusement sur un sondage-dont-vous-êtes-le-héros, que l’oligarchie ne peut pas imposer sa loi jusqu’au bout au peuple souverain !

Ce que vous ignorez, c’est que l’effarouché des sondages a un triste passif avec eux. Le candidat qu’il soutenait, il y a quelques années en arrière, était la coqueluche des instituts. Pas une semaine sans que les unes de presse ne le donnent caracolant en tête de 10 points devant ses concurrents. Pas un jour sans que l’effarouché martèle, triomphant, un IPSOS à 51% ou un SOFRES un 52. Cela tenait presque de l’obsession. Puis le vent a tourné, la courbe de popularité qu’il suivait de si près a cessé de tutoyer les cimes ramayadiennes pour aller rejoindre les bas-fonds où croupissent celles des anciens secrétaires d’État. L’effarouché a travaillé sur lui-même. Il s’est désintoxiqué. Lentement. Il a même fini par se laisser aller à l’emploi de quelques arguments politiques pour défendre son candidat. Il s’est guéri de son addiction aux sondages – presque.

Car comme le frémissement sur les femmes seules de plus de 45 ans travaillant dans une exploitation agricole vous l’a prouvé, il n’est jamais à l’abri d’une rechute. Jamais.

Alors, si vous tenez à lui, suivez cette simple recommandation : écartez de sa vue les alertes info SFR, les Direct Matin avec pourcentages en pleine une, et autres numéros de Libé en partenariat avec Viavoice. Surtout s’ils sont moins défavorables que de coutume pour son candidat. Ce serait tenir un flacon de whisky sous les narines d’un pensionnaire de la Croix Bleue. Je compte sur vous.

Romain Pigenel

La galerie des caractères de la politique se visite ici.


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