A moins que Brice Hortefeux n'est encore bavardé trop vite...
Si fidèle...
Jusqu'à maintenant, le quotidien de Sarkofrance s'était bien comporté. Les messages présidentiels étaient correctement relayés. En 2009, on a même découvert, grâce à la Cour des Comptes, que le journal publiait des sondages financés en sous-main par l'Elysée et coordonnés par le fidèle Patrick Buisson. Formidable !
Quand il faut relayer les fuites officieuses de l'Elysée, le Figaro est là. En juillet 2010, il publie quelques extraits soigneusement choisis des « confessions » de Claire T., l'ex-comptable de Liliane Bettencourt, traquée dans le Sud par quelques policiers parisiens à qui elle déclarait que Mediapart avait « exagéré » ses propos sur Nicolas Sarkozy. Cet extrait de procès-verbal a été communiqué au journal en violation du secret de l'instruction. Une violation similaire, mais au bénéfice d'un journaliste du Monde, a valu à ce dernier un espionnage illégal de la part des services secrets.
Quand il faut taper sur la gauche, le Figaro est là. On se souvient du photo-montage, en une du journal, figurant François Hollande face à Tristane Banon, en juillet dernier. Ou bien de cet autre titre en couverture, relayant les propos de Claude Guéant contre l'immigration tunisienne: « La circulaire Guéant contre le raz-de-marée ».
Quand il s'agit de ne pas parler de telle ou telle affaire, le Figaro savait aussi se taire. Comptez donc sur Etienne Mougeotte, directeur des rédactions, l'un des ses visiteurs du soir. L'affaire Takieddine, par exemple, ne fut évoquée sur le site du Figaro que trois fois en 3 mois, depuis la cascade de révélations publiées par le site Mediapart: une brève dépêche AFP, le 11 juillet, informait l'aimable lecteur internaute du Figaro que messieurs Copé et Hortefeux risquaient d'être entendus par la justice puisque l'avocat des familles de l'attentat de Karachi réclamait leur audition; puis, silence médiatique jusqu'au 29 août quand les avoirs de l'homme d'affaires furent gelés par un juge dans une procédure de divorce, puis le 6 septembre, à nouveau par l'intermédiaire d'une dépêche AFP relayée sur le site.
... et soudain
Mais depuis quelques jours, rien ne va plus. L'article qui a mis le feu aux poudres a été écrit par Charles Jaigu, accrédité à l'Elysée, et Solenn de Royer, qui couvre également l'actualité sarkozyenne. Jeudi, le titre claque comme un bon scoop: « Sarkozy, si jamais j'étais candidat ». Et les deux journalistes complétaient: « Devant les députés UMP qu'il recevait mercredi à l'Élysée, Nicolas Sarkozy a évoqué la présidentielle en faisant à peine mystère de ses intentions ».... Le journaliste s'amusait presque des propos présidentiels: « Depuis Lawrence d'Arabie, jamais un pays occidental n'avait tendu la main à la rue arabe ».
Sacrilège ! Comment ont-ils pu oser ? Ce n'était pas la première fois.
Quarante-huit heures avant, le 6 septembre, Charles Jaigu écrivait déjà, dans un article au titre tout aussi révélateur (« comment les sarkozystes préparent 2012 »): « son ami Brice Hortefeux, dont le nom est souvent évoqué pour diriger la campagne du chef de l'État, jure qu'à aucun moment, au téléphone, Nicolas Sarkozy ne lui a parlé de 2012 cet été » Mais, ajoute le journaliste, « Lors d'un dîner commun avec Jean-François Copé, le 24 août, l'échéance présidentielle a finalement été évoquée, entre la poire et le fromage ». Le même jour, le même Jaigu louait le rôle qu'Henri Guaino voulait jouer dans la campagne de Nicolas Sarkozy. L'impatience était manifeste: « Pendant cette «drôle de campagne», où les partisans de Nicolas Sarkozy doivent attendre encore longtemps son entrée officielle dans la présidentielle, Henri Guaino ne veut rien laisser au hasard.» Drôle, cette campagne ? Donc il y a campagne, n'est-ce pas ?
La veille, le 5 septembre, Solenn de Royer avait dû faire enrager le candidat Sarkozy, en délivrant son compte-rendu du campus UMP raté du weekend dernier. Officiellement, pas de discorde. Mais dans le Figaro, la journaliste rebelle s'amuse dans son article sur la « Réconciliation au sommet de l'UMP » : « Après des mois de guerre larvée, Fillon et Copé se sont efforcés d'afficher leur unité, à quelques mois d'une élection présidentielle qui s'annonce délicate pour la droite ». Et, ajoutait-elle, « Sourires affichés, un brin crispés. «Sarko, Sarko !», scandent les militants qui avaient été briefés. »
Jeudi soir, il fallait réagir. Brice Hortefeux a donc joué les porte-flingues pour fustiger ces fausses rumeurs: « Pour qu'il y ait une campagne, il faut qu'il y ait un responsable de la campagne, il n'y en a pas. Et pour qu'il y ait un responsable de la campagne, il faut qu'il y ait un candidat. Vous voyez, on peut encore attendre. Le temps de la campagne n'est pas venu ».
La grande hypocrisie
Si Sarkozy n'est pas candidat, que fait-il donc ? Il se déplace deux fois par semaine en province. L'an dernier, on pouvait croire qu'il partait convaincre de ses réformes à venir ou passées. On se souvient des mois passés à répéter les mêmes phrases, les mêmes anecdotes, les mêmes mensonges devant des ouvriers, des infirmières ou des agriculteurs, pour louer la suppression de la taxe professionnelle, la nécessité de sa réforme des retraites ou son Grand Emprunt.
Mais depuis janvier, qu'a-t-il donc à « vendre », à part sa présence ? La réforme de la dépendance, grand chantier annoncé en janvier a été ajournée. Les tourments boursiers sont plus anxiogènes que « vendeurs ». D'autant plus que Nicolas Sarkozy ne fustige plus les banquiers voyous et « méchants traders ». Les discours de l'automne 2008 sont usés, faute de résultats. Les grandes menaces n'ont rien produit de concret, la régulation de l'infamant capitalisme financier est restée lettre morte. Et la crise de la dette est un mauvais thème de campagne.
Nicolas Sarkozy a aussi voulu accélérer sa « présidentialisation » en prenant chaque semaine un peu plus de distance avec la réalité. Fini les commentaires systématiques sur l'actualité, exit les appels à la réforme permanente. Sarkozy ne commente pas la hausse mensuelle du chômage, l'évaluation de la pauvreté, l'espionnage d'un journaliste ou les trafics d'armes avec la Libye. Il est « ailleurs », il « fait la guerre » (en Libye, en Afghanistan) ou « défend l'euro », à défaut de le sauver.
Mais pourquoi donc, alors, rencontre-t-il si souvent ces panels de Français silencieux ? Pourquoi avoir autant allégé son agenda officiel ? Dans l'un de ses récents articles, Charles Jaigu, encore lui, nous donnait quelque éclairage sur l'étonnant agenda officieux du Monarque:
« Vers 19 heures, les conseillers du premier cercle se réunissent dans le salon vert, à côté du bureau présidentiel, et en présence du «patron». Les lundis, mercredis et vendredis, ils font le point sur les sujets du jour. Il y a là le secrétaire général Xavier Musca, le conseiller spécial Henri Guaino, Franck Louvrier, le conseiller stratégique Jean-Michel Goudard, la nouvelle plume du chef de l'État Camille Pascal et le directeur de cabinet Christian Frémont. Les mardis, jeudis et dimanches, on parle sondages et communication. Les invités d'honneur sont le sondeur Pierre Giacometti et le politologue Patrick Buisson. »Mais de quoi pouvaient-ils parler si ce n'est de la situation politique et du prochain scrutin ?
A moins que ... Brice Hortefeux, trop heureux de faire mousser son propre rôle de conseiller officieux, impatient de devenir officiel, n'ai éprouvé le besoin, ces derniers jours, de bavarder trop largement à ses confidents journalistes. Puis, pris de remords ou sévèrement engueulé par son patron ami de trente ans, il aurait dû corriger le tir, et démentir à son tour d'en avoir trop dit.
Ami sarkozyste, combien de temps seras-tu dupe ?