Magazine France

Tubalcaïn

Publié le 09 septembre 2011 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 32 bis (nouvelle série)

Voici, une fois n’est pas coutume, un poème pour des clous… mais pas n’importe lesquels ! Encore une fois, il est puisé au meilleur Miguel de Unamuno auquel actuellement je m’abreuve sans modération. C’est pourquoi, ce clou poétique comptera… pour des clous dans la comptabilité de cette nouvelle série qui doit en comporter cent comme la précédente, afin de ne pas léser nos fidèles abonnés.

De Unamuno fait des clous de la crucifixion l’œuvre de Tubalcaïn, inventeur de l’art de travailler les métaux (Genèse, IV, 22). Clous dont la morsure fatale figera pour l’éternité le « fruit sinistré du savoir », clous eux-mêmes fruits d’un art mais accomplissant le sacrifice, agents d’un art inverse, celui du crime. Les clous sont indissociables des mains qui les manipulent… ou qui sont fixées par eux. Il serait également simpliste de ne voir qu’un agent du mal en Tubalcaïn. Lui aussi participe pleinement du geste créateur. C’est probablement la raison pour laquelle le titre du poème – Les clous, l’art
réunit de manière dialectique les objets clous, passifs en tant que tels, au principe dynamique qui les a produits et qui les met ensuite en oeuvre : l’art.

Les clous, l’art.

Tes clous sont les clefs qui nous ouvrent
de la mort – la vie – les verrous.
Ils sont les quatre crocs de la Mort
que forgea Tubal-Caïn le caïnite
avec l’art inventé dans le clan
primitif des foyers insalubres
que leva de terre, maçonnés de sang –
ciment – le fils d’homme qui, le premier,
coupa le souffle au frère – et ce fut la guerre ! –
d’où surgit l’art qu’avec tes mains
tu sanctifias, Maître charpentier !
Celles-ci calleuses en ta jeunesse,
moment obscur, manièrent des clous
quand tu transpiras sur le bois –
celui de ta croix, lit de noces, présage –
gagnant tous les jours le morceau
du pain que tu nous apprends à gagner
chaque jour, le demandant à ton Père.
L’art, saisi à l’arbre de la science
du bien et du mal, qu’Adam, son père,
remit à la dextre de Caïn,
tes mains l’ont racheté. Et ces mains,
toujours ouvertes, à la fin l’industrie humaine
les cloua à la croix, au madrier ouvré
à la sueur de l’homme consacré.
Car ta croix aussi est œuvre d’art
qui surpasse la nature.
Caïn, le laboureur, à sa lignée
légua l’ingéniosité, proche de l’audace
de criminelle jalousie – le crime est un art
civile, et Toi, Seigneur, tu l’as sublimée,
Toi, de tes mains levant au ciel
le fruit sinistré du savoir !

Miguel de Unamuno (Bilbao, 27 septembre 1864 – 31 décembre 1936, Salamanque) Le Christ de Vélasquez (1920), traduit de l’espagnol par Jacques Munier, présenté par Roger Munier. Editions La Différence, collection Orphée. On trouve actuellement à vil prix chez les soldeurs pas mal de volumes de cette excellente collection de poche vouée à la poésie du monde entier… Et toujours de Miguel de Unamuno, à lire absolument, le discours de Salamanque...


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Philippe Thomas 103 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte