Quarante ans après ses débuts, et onze depuis son dernier album "La Raison de L’autre", Gérard Lenorman revient avec "Duo de mes Chansons". Treize voix se mêlent à la tessiture rocailleuse de Gérard Lenorman. D'un côté, l'hommage de la jeune génération (Zaz, Grégoire, Amaury Vassili, Stanislas...) envers ce faux Candide. De l'autre, la révérence des aguerris (Florent Pagny, Patrick Fiori, Maurane, Roch Voisine, Anggun...) pour des morceaux connus, et subitement nouveaux. De "La ballade des gens heureux" à "Si j’étais président", en passant par "Les matins d’hiver", "Quelque chose et moi" ou "Voici les clefs", voici l’autoportrait en filigrane de l’un des plus grands chanteurs français.
En 1969, Gerard Lenorman faisait un peu peur. Il était coiffé comme un Playmobil. Sur les plateaux de télévision, il chantait avec une joie presque effrayante, les yeux écarquillés. Et, à la pose extatique, il ajoutait sans complexe des paroles heureuses. Double blasphème... Car, cette année-là, Serge Gainsbourg susurre Elisa, Johnny Hallyday hurle Que je t'aime et France Gall, boudeuse, joue La poupée qui dit non. On chante l'érotisme ou les blessures amoureuses, la mine sombre. Il ne viendrait à l'esprit de personne de sourire derrière un micro. Sauf Gerard Lenorman. Dès 1970, il prévient "Laissons entrer le soleil", adaptée de la comédie musicale Hair. Ses chansons tournent autour des jours heureux, des fêtes des fleurs, des éclaboussures de mémoire, très loin des poses destroy et des astres noirs. Un rocker ? Pas loin... Gérard Lenorman a compris, le premier, que le bonheur est une vraie rebellion. Il a flairé qu'une Ballade des gens heureux, en 1975, soulevait plus de montagnes qu'une guitare cassée sur une baffle. Qu'à un moment ou à un autre, la communauté humaine réclamerait sa part d'espoir et de regard écarquillé. Alors, depuis quarante ans, le Petit Prince mène sa révolution, un sourire aux lèvres.
Il la mène obstinément, même quand elle n'intéresse personne. Les années 80 n'auront que faire du bonheur, et lui préfèreront la jouissance. Qu'importe : Lenorman s'accommode de l'oubli et chante toujours, conscient d'être "bon qu'à ça" comme disait l'écrivain Samuel Beckett, une autre grande figure rock'n roll, obsessionnelle, à rebours de son temps… et visionnaire. Quand Gerard Lenorman chante Si j'étais président, il dessine, avec vingt ans d'avance, une politique bling bling, raille un casting gouvernemental très actuel, rit des effets d'annonce et du culte de la personnalité, bref, prédit le paysage politique d'aujourd'hui. Heureux qui communique, du nom d'un album plus tardif, annonce la couleur contemporaine... La joie béate de 1969 cachait bien son jeu! En 2000, Gérard Lenorman chante La Force d'aimer, dans laquelle il donne son code secret. Il parle de "pub sans affiche" - sa force, celle d'être un "Vagabond", sur les routes, sans cesse en tournée, loin des pages People et du gigantisme marketing. Il parle aussi de "ces drapeaux d'indifférence : qui te disent ''tais-toi et danse''", et se demande : "Est-ce qu'il faut prendre les armes ?" Pas la peine, une chanson suffira. D'ailleurs, sur la scène, il explose. Comme tous les rockers...
Et comme les rockers, évidemment, Gérard Lenorman n'a fait aucune concession. Il n'a jamais remixé ses tubes en brouet de technodance, ni participé aux grandes tournées sirupeuses et nostalgistes. Il en a payé le prix, bien sûr, mais enfin : entre un insoumis et un pacha, son coeur a choisi depuis longtemps. Il est resté "au dessus du fracas de la terre", comme dans sa chanson Le Funambule, avec ses lunettes de devin sur le nez, occupé à bombarder paisiblement le paysage musical français. S'il fallait encore une preuve, c'est bien ce dernier album de duettistes. Treize voix se mêlent à la tessiture rocailleuse de Lenorman. D'un côté, l'hommage total, immense, de la jeune génération (Zaz, Grégoire, Amaury Vassili...) envers ce faux Candide. De l'autre, la révérence des aguerris (Florent Pagny, Patrick Fiori, Roch Voisine...) pour des morceaux connus, et subitement nouveaux.
Dans leurs habits neufs, ils révèlent la force des textes. Voilà pourquoi, bien au-delà de la raideur ravie des débuts, les chansons de Gérard Lenorman tiennent la route, et inspirent les autres. Elles s'inscrivent dans la lignée magnifique du répertoire français. De Toi, chantée avec Maurane, annonce Confidentiel de Jean Jacques Goldman. Michelle, reprise avec Grégoire, est la petite-fille de La Bohème de Charles Aznavour. L'alliance des voix fait surgir la beauté impondérable de ce grand thème universel qu'est le bonheur, fer de lance de Lenorman depuis des lustres. Il nous raconte toujours la liberté, l'indépendance, celui "qui ne lit pas les journaux, n'écoute pas la radio", les vagabonds, la fidélité à soi... A bien y regarder, ces treize duos racontent l'artiste et composent un autoportrait caché. A petites touches, sur la pointe des mots, se dessinent, en creux de l'album, le visage et la vie d'un des plus grands chanteurs français, multirécidiviste du sourire et torpilleur des modes, qu'il était grand temps de percer à jour. "Voici les clés"...