Les chiffres publiés par le Panel Livres Ipsos MediaCT il y a quelques jours ont de quoi étonner : alors que le marché des biens culturels est le premier à souffrir d'une consommation déprimée, le livre a au contraire vu ses ventes s'améliorer dans les sept premiers mois de 2007. Alors, le marché du livre est-il vraiment en forme, malgré la concurrence défaillante à tous les niveaux, et la législation sur le prix unique que nous dénoncions il y a plus d'un an dans un article ?
La vente en ligne tire le marché, les libraires indépendants plongent
La réalité est plus complexe. En effet, comme le mentionne le communiqué d'Ipsos MediaCT, le marché est en fait tiré par les librairies en ligne, dont le chiffre d'affaires a augmenté de 18,9 % et représentent maintenant 10 % du marché. Est-ce vraiment étonnant ? À portée de clic, les sites de vente en ligne proposent le catalogue quasi-exhaustif des livres disponibles, avec toutes les éditions différentes et tous les prix, le tout livré gratuitement. Et, lorsque les sites internet centralisent également des annonces de livres neufs ou d'occasion, à des prix parfois très réduits, système utile pour économiser quelques euros ou se procurer un livre épuisé ! Le grand gagnant du secteur est bien entendu Amazon, au grand dam de la Fnac, qui reste à la traîne sur internet, et dont le PDG Alexandre Bompard s'est plaint après l'annonce de ces chiffres.
L'argument selon lequel Amazon verrait ses ventes croître en raison d'une politique de prix agressifs est d'ailleurs erroné. En effet, pour vendre en France, Amazon s'est vu forcé de respecter la loi sur le prix unique : un livre sur Amazon ne peut subir un rabais supplémentaire à 5 % sur le prix éditeur. Il est donc vendu à quelques centimes de moins qu'en librairie, et surtout exactement au même prix qu'à la Fnac qui n'est derrière qu'en raison d'un catalogue moins complet.
En fait, les librairies indépendantes ne profitent de leur côté pas du tout de la hausse des ventes : au contraire leurs ventes chutent de 1,3 %, ce qui aggrave leurs perspectives. Ne profitant ni du catalogue presque infini des sites internet, ni de la capacité à jouer sur les prix en raison de la loi sur le prix unique, elles demeurent spectatrices d'un marché sur lequel elle n'ont aucune prise.
La maladie de l'édition française
Il faudrait ajouter à cela que si les ventes augmentent, la qualité des livres vendus, elle, diminue. Depuis le succès du formidablement consensuel et inutile Indignez vous ! de Stéphane Hessel, un nouveau format s'impose en librairie : un petit fascicule souple agrafé, une cinquantaine de pages à gros caractères, le tout à 3 euros. Seul le prix vient rappeler qu'il s'agit bien d'un livre. Mais le problème est bien là : pour proposer un livre récent à bas prix, la seule solution trouvée par les éditeurs est celle-ci. Ont ainsi suivi depuis quelques mois d'autres succès : le Manifeste d'économistes atterrés de Philippe Askenazy et quelques autres auteurs (70 pages, 5,50 €), Vive Le Pen ! d'Emmanuelle Duverger et Robert Ménard (32 pages, 4,90 €) ou encore Votez pour la démondialisation ! d'Arnaud Montebourg (86 pages, 2 €). Des opuscules dont le titre se termine généralement par un point d'exclamation, assénant une invocation qu'ils n'ont pas la place de justifier. Mais les chiffres de vente sont là pour confirmer une évidence trop souvent négligée : les chiffres de vente sont, en France, limitées par le prix aberrant auquel est vendus ce bien culturel de consommation courante, devenu petit à petit un luxe qu'on réserve pour les cadeaux.
Deux conclusions s'imposent donc en voyant ces chiffres. D'abord que, si les ventes augmentent sur Amazon, c'est grâce à la qualité du service ressentie par les clients et non en raison d'un prix réduit ; dans ces conditions on ne peut faire autre chose que se réjouir en constatant une hausse des ventes de livre, y compris dans les rayons habituellement en difficulté (essais, littérature générale). Ensuite, que la politique du prix unique ne protège absolument pas les libraires indépendants qui n'en finissent pas de voir leurs ventes chuter même lorsque le marché est en forme : le problème demeure bel et bien le caractère oligopolistique du marché du livre français, et le prix trop élevé du livre protège cet état de fait, et participe à la mauvaise santé décidément chronique des petits libraires, des petits éditeurs, et à la vivacité du secteur de l'édition tout entier.
Pour mieux comprendre les problèmes du marché du livre, nous vous renvoyons à notre analyse de janvier 2010 : « Inégalités d'accès à la culture : le livre en France, un produit de luxe ».