Drôle de papier d'Aquilino Morelle, ex-plume de Jospin, directeur de campagne d'Arnaud Montebourg, hier dans le Monde. On y apprend que la mondialisation "est avant tout un projet idéologique pensé, voulu et mis en œuvre avec opiniâtreté par des intellectuels et des responsables politiques, de gauche qui plus est." Au premier rang desquels il faut mettre Jacques Delors, Pasca Lamy et Michel Camdessus. "Pénétrés de la supériorité du libre-échange" ces hommes ont "convaincu François Mitterrand de libéraliser la finance. L'année 1983 n'a pas été l'année de la capitulation de la gauche française devant la finance, mais celle de son ralliement à celle-ci ! Un ralliement dont les mots d'ordre auront été "maîtrise" et "régulation". A partir de 1985, ayant pris la tête de la Commission européenne (Delors et Lamy) et du FMI (Camdessus), ils ont diffusé cette politique de libéralisation financière à l'ensemble de la planète. Par leur habileté politique et leur persévérance, ces "socialistes" français ont réussi à établir ce qu'il est convenu d'appeler le "consensus de Paris". Diable! Reagan et Thatcher, out, c'est Mitterrand qui nous aurait mis dans cette panade.
La thèse est pour le moins audacieuse. Mais il l'appuie sur un livre publié en 2007 d'un professeur d'Harvard, Rawi Abedelal : Capital Rules : The Construction of Global Finance, que personne sinon Aquilino Morelle, n'a je crois, lu de ce coté-ci de l'Atlantique. On peut cependant en lire quelques lignes sur Amazon et notamment ceci : "The most important misconception of the conventional account (of the rise of global finance) concerns the role of the United States. Undoubtedly, the US played an important role in the creation of mobile capital, through its agents in international financial markets (…) But neither the U.S. nor Wall Street has preferred or promoted multilateral, liberal rules for global finance (…) European policy makers conceived and promoted the liberal rules that compose the international financial architecture. The most liberal rules in international finance are those of the EU and the US was irrelevant in their construction." Et un peu plus loin :"While a number of Europeans (…) supported liberal rules for capital movements, three French policy makers in the EU, OECD ans IMF played crucial roles." Vous les aurez reconnus : Delors, Lamy et Camdessus. Et il conclue, dans une phrase que Morelle reprend pratiquement mot pour mot : "Europe did not merely acquiesce ; Europe made financial globalization."
Morelle a raison sur un point : il faut traduire ce livre. Apporte-t-il pour autant de l'eau au moulin de la démondialisation? Je n'en suis pas si sûr. Reste que c'est d'étrange stratégie politique que d'attribuer, dans une campagne présidentielle, la responsabilité de la plupart de nos maux aux vedettes de sa formation politique. On peut imaginer que Jean-Luc Mélenchon a lu avec délectation ce papier et l'on voit déjà comment pourrait se reconstruire la gauche au lendemain d'une défaite aux présidentielles, avec un rapprochement, dans une formation probablement nouvelle, d'une gauche inspirée par les thèses d'Attac, d'un coté (Melenchon, Montebourg…) et d'une formation plus sociale-libérale autour des restes du PS.