Patrick Deville signe une évocation forte et personnelle du Cambodge, d’Angkor au procès des Khmers rouges.
On tient sans doute avec le nouveau livre de Patrick Deville l’une des meilleures illustrations du fameux effet papillon, ce battement d’ailes qui « provoque une catastrophe des milliers de kilomètres plus loin ou des dizaines d’années plus tard ». Même si, dans Kampuchéa, il faut aussi entendre cette expression au sens propre. C’est en effet en poursuivant l’une de ces merveilles volantes que le Français Henri Mouhot – dit « Henri la Science » – est tombé, en 1860, sur les magnifiques temples d’Angkor. Héros « devillien », dans la lignée de William Walker (souvenez-vous de l’excellent Pura Vida), ce disciple par anticipation de Humbert Humbert (le héros du Lolita de Nabokov) n’imaginait pas le devenir de ce (pas si) petit bout d’Asie, si loin de l’Hexagone – et désormais place forte du tourisme sexuel… Il ne pouvait pas non plus savoir qu’il allait être lu, un siècle plus tard, par quelques étudiants, dont le futur Pol Pot, qui comprit de manière très personnelle ces mots de Mouhot : « Il y a peu de nations qui présentent un contraste aussi étonnant que le Cambodge, entre la grandeur de leur passé arrivé au point le plus culminant et l’abjection de leur barbarie actuelle. » Derrière sa façade de récit sur le Mékong et son hommage à Conrad, à Malraux ou à l’acteur David Carradine, Kampuchéa explore un siècle et demi d’histoire et met en lumière les liens ténus entre la France et le pays des Khmers rouges, « dans lequel tous les titres de propriété, tous les diplômes ont disparu ». A l’image du génial documentaire de Rithy Panh, S-21, la machine de mort khmère rouge, Patrick Deville nous montre surtout que « la terreur est le bras armé de la Vertu » et que l’ »utopie politique, comme la religieuse, déteste l’homme dans sa monstrueuse incomplétude ». Et si c’était parfois aussi le cas de la littérature ?