Triplé Po&Psy
Cette petite collection à la finition très soignée, sous étui de couleur, est dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot. Elle propose chaque année trois titres, en privilégiant les formes brèves, sans limitation de pays, de langue, ou d’époque. En l’occurrence, cette saison, ce sont trois poètes contemporains : l’argentin Antonio Porchia, l’iranien Alireza Rôshan, et Jacques Ancet.
Rôshan est vraiment une découverte puisque ce jeune poète n’est pas encore édité en Iran, sauf sur Internet. Sa poésie amoureuse est marquée par la tradition persane, avec des thèmes récurrents : l’attente de l’aimée, l’absence, l’espoir… et des images qui peuvent parfois sembler un peu convenues (la lune, le vent, le désert…). Mais elles sont maniées avec délicatesse et voisinent avec d’autres poèmes plus directs parce que plus simples pour un lecteur français : « entre nous / le mur c’est moi / détruis-moi », ou « toi / tu t’en vas / moi / je referme la porte sur moi-même », ou bien encore « toi / toujours / tu es autre part ». La brièveté de la forme choisie pourrait faire penser au haïku, mais je pencherais plutôt vers les miniatures persanes du temps où le rapport amoureux n’était pas encore corseté par la religion. Néanmoins, la femme reste ici très éthérée, quasi sans corps. Mais rien n’empêche de faire une lecture symbolique de ces poèmes, de considérer par exemple que l’aimée est la liberté…
Le livre d’Antonio Porchia est présenté ici dans une nouvelle traductionOn retiendra l’idée originale de la présentation : même format de livre, mais chaque page est divisée en trois lanières de papier. Chacune d’elles porte un aphorisme. Ce dispositif permet une lecture aléatoire qui convient à ces « voix éparses ». C’est une poésie réflexive, souvent profonde dans sa brièveté parfois énigmatique, sans être d’obédience charienne : « L’homme, bien qu’il soit une tragédie, ne vaut pas une tragédie. Il n’y a rien qui vaille une tragédie. » « Si on regarde toujours une même chose, il n’est pas possible de la voir. » « Avant de parcourir mon chemin, j’étais mon chemin. » « Pour pouvoir atteindre certaines hauteurs, je ne les abaisse pas : je les élève davantage. » Le plaisir de lire ce petit livre vient de sa variété et de la surprise provoquée par chaque aphorisme. Aucun système chez Porchia, et pas vraiment de thèmes dominants : plutôt une pensée qui va à l’aventure, et glane au passage idées et images.
Dans Portrait d’une ombre, on retrouve le monde d’Ancet (buée et frôlement, apparition/disparition) qui consonne si bien avec les dessins de Hollan où la figure est toujours en train d’émerger ou de se dissoudre. « Il brille. Ou plus exactement, il miroite. On ne voit pas, on entrevoit, on ne voit pas. Une lueur, une presque voix. On est là au même endroit avec le chêne et la clôture, la montagne et le ciel. Très vite, on n’y est pas – on y est. Il dit… On va comprendre. La lumière bouge. Le vent tombe. On va le voir. » Tout le livre tient dans cette attente, en cette presque rencontre ; chacune de ces proses courtes est une sorte d’épiphanie presque réussie. On approche d’une sorte d’insaisissable avant de le perdre à nouveau. « Le jour vacille. Moineaux et mésanges griffent le ciel. Le tronc fouille la terre humide. On reste sans rien voir. Une lueur se lève où passe une ombre. On voudrait la saisir, mais on a trop de temps sur les mains. » On pourrait penser que cette « ombre » toujours présente-absente générerait de l’angoisse, un peu comme dans le Horla de Maupassant. Il n’en est rien : aucun glissement vers le fantastique chez Ancet. L’ « ombre » est seulement un mot pour désigner ce qui manque au monde, à la langue, à la vie. A certains moments, et c’est cette expérience que vise le poème, il semble que l’on soit tout proche de toucher « la réalité bien pleine » (Reverdy), autant que la langue bien pleine, la vie bien pleine. On a l’impression d’être « Au bord, au bord » d’y arriver, et puis ça s’efface et on retourne au manque. « Dans ce qui bouge, ce qui demeure. Dans ce qui demeure, ce qui bouge. Dans le jour la nuit et dans la nuit le jour. Dans l’explosion blanche, le caillot noir – arbre et corneille disent les mots. Et lui dans le mouvement. Ni l’un ni l’autre et les deux en même temps. Parfois, pourtant, on le devine : claquement sec, vibration, silence. Quelque chose a eu lieu. On ne peut pas dire quoi. »
[Antoine Emaz]
Alireza Rôshan – jusqu’à toi combien de poèmes- Traduction du persan par Tayebeh Hashemi et Jean-Restom Nasser - Editions érès – Col. Po&psy – non paginé – 10€
Antonio Porchia – Voix éparses - Traduit de l’espagnol (Argentine) par Danièle Faugeras- Editions érès - Col. Po&psy – non paginé – 10 €
Jacques Ancet – Portrait d’une ombre - Editions ères – Col. Po&psy – non paginé – 10 €