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CULTURE
JADIS, d'après Maupassant
Publié le 07 septembre 2011 par
Dubruel
Entouré d’une verdure sombre,
L’ancien château dort à l’ombre
De grands arbres.
Quatre dames en marbre
Se baignent dans un bassin de mosaïque.
Tout en ce domaine antique
A gardé la physionomie des vieux âges.
Tout semble parler des hommages,
Des galanteries de l’ancien temps
Et des élégances légères d’antan.
Dans le salon, une aïeule handicapée
Est assise sur le canapé.
Une jeune fille lui lit le journal
En diagonale.
-Il y a beaucoup de politique et d’économie.
Faut-il passer, Mamie ?
-Oui. N’y a-t-il pas des histoires d’amour ?
La passion est-elle morte pour toujours ?
Ne parle t’on plus d’enlèvements
Ni d’aventures comme dans le temps ?
Annabelle, la jeune fille, parcourt
Et s’arrête sur le titre
Drame d’amour.
La vieille femme, candide,
Sourit dans ses rides.
-Lis-moi cela.
Annabelle commença.
C’était une affaire de vitriol.
Une jolie créole
Avait brûlé les yeux de l’amie
De son mari.
Ce mardi, elle sortait
Des Assises acquittée,
Aux applaudissements de l’assistance.
Oubliant son impotence,
L’aïeule s’agita et répéta :
-C’est affreux, c’est affreux cela !
Trouve-moi donc autre chose, mignonne. »
Annabelle tomba sur
Drame, cet automne
.
Une vendeuse de fleurs d’âge mûr
S’était laissée choir dans les bras d’un jeune dur.
Puis un soir après souper,
Pour se venger de son amant qui la trompait
Elle lui avait tiré un coup de
revolver
.
Les jurés prirent le parti de la meurtrière.
Cette fois, la grand-mère se révolta
Et d’une voix tremblante protesta :
-Aujourd’hui, vous êtes fous !
Le Bon Dieu a offert à tous
L’amour, unique séduction de la vie.
L’homme y associa la galanterie,
Notre seule distraction, notre pactole
Et vous, vous y mêlez
Du vitriol,
Du pistolet !
-Mais cette femme était mariée
À un coureur de jupons. Il a payé !
C’est naturel.
Le mariage c’est sacré !
Répondit Annabelle
-Non, c’est l’amour qui est sacré.
J’ai vu trois générations
Et j’en sais long, très long :
Mariage et amour ne vont pas ensemble,
Du moins, ce me semble.
Le mariage sert à former et cimenter
La société.
La société est une chaîne de familles.
Vois-tu ma fille,
On ne se marie qu’une fois
Parce que le monde l’exige, ma foi.
Mais on peut aimer vingt fois dans sa vie.
La nature nous a fait ainsi.
Le mariage est une loi,
L’amour est un instinct.
On a fait des lois qui combattent nos instincts
Mais les instincts sont plus forts que la loi.
On ne devrait pas leur résister
Car c’est de Dieu qu’ils viennent.
Or c’est des hommes que les lois viennent.
On doit remplir sa vie
D’amour à l’envi !
Annabelle ouvrait
Des yeux effarés :
-On ne peut aimer qu’une fois !
Se souvenant des galanteries d’autrefois,
La vieille reprit :-Vous êtes une race de vilains.
Depuis la Révolution, les humains
Sont méconnaissables.
Et leurs actions sont inacceptables
De mon temps, on apprenait
Aux hommes à aimer les femmes.
Et quand l’un d’eux nous convenait,
Dame,
On en profitait
Sans frilosité.
Nous venait-il jadis
Un nouveau caprice,
On congédiait l’ancien amant
Tout simplement
Ou on les gardait tous deux !
-Alors les femmes n’avaient pas d’honneur ?
La vieille souriait d’un sourire malicieux.
-Pas d’honneur ! Parce qu’on aimait sans peur !
On osait même s’en vanter !
Si dans notre société,
L’une de nous demeurait sans amant,
Nos amies auraient ri en se moquant.
Celles qui voulaient vivre autrement
N’avaient qu’à rentrer au couvent.
Aujourd’hui, vous pensez que vos époux
N’aimeront jamais que vous...
Le mariage, petite bécasse,
N’est pas dans la nature de notre race.
Il n’y a dans la vie qu’une bonne chose :
L’amour, Éros.
Annabelle prit les mains de sa mamie :
-Tais-toi, je t’en supplie.
Moi, je demande au ciel une passion,
Une seule grande passion.
-Prends garde. Tu seras bien malheureuse
Si tu crois à tes folies trompeuses.