Sous le prétexte de la Croisière Jaune, l’Espace Vuitton présente jusqu’au 27 Avril, une dizaine d’artistes entre Beyrouth et Pékin. Vu les contrées traversées, on y parle de voyage, mais on y parle aussi beaucoup de guerre. L’intérêt essentiel de l’exposition, à mes yeux, vient de la parenté formelle de beaucoup des oeuvres présentées, toutes du domaine du rituel. C’est comme s’il fallait des rites, des processus immuables, pour apprivoiser le monde, ce monde.
Ce peut être le fait de repeindre un cheval noir en blanc comme signe de bon augure et de protection apotropaïque, ou d’apporter inlassablement sa pierre, sa brique, à un édifice à rebâtir, à un pays en reconstruction fragile (l’Afghane Lida Abdul). Ce peut être, par le biais de l’invention d’un photographe, de détruire systématiquement par le feu les cartes postales d’endroits détruits par la guerre, dans l’incapacité de représenter la guerre elle-même (les Libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige; ci-contre Wonderful Beirut. Ce sont en fait les négatifs qui sont brûlés, puis retirés). Ce peut être l’apprentissage obstiné des mots, de la langue, qui ne peut passer que par des mots de guerre, des expressions d’horreur (l’Irakien Adel Abidin). Ce peut être le retrait du monde cruel pour observer la trajectoire des oiseaux libres dans le ciel et la retranscrire dérisoirement sur une feuille de carnet (le Pakistanais Mohammad Ali Talpur). Ce peut être le fait de se laisser dériver dans une zone marquée par l’invasion, sans but précis, au hasard des rencontres et des attirances, comme un flâneur de guerre, et d’y saisir les infimes signes où l’espoir transparaît sous la douleur pudique (la Libanaise Amal Saadé; ci-contre Manal, souriante et pimpante au milieu des décombres d’Al Byadda). Ce peut être enfin la recherche de la vérité d’une image, prise en photo, puis peinte à l’aquarelle, puis photographiée et projetée dans un diaporama faisant écho à l’accrochage mural (le Chinois Chen Shaoxiong). Des rituels, toujours.
Moins purs, plus anecdotiques visuellement sont l’accouplement d’un chameau et d’une 2CV (l’Iranienne Bita Fayyazi), les démons enfantins (l’Iranienne Malekeh Nayiny) et les cités portables encloses dans des valises, architectures faites de vêtements provenant du bazar local (la Chinoise Yin Xiuzhen; ci-contre Urumqi, capitale des Ouïghours). Au milieu de l’expo, une chambre jaune, espace confiné aux voiles blancs vaporeux baigné de chants et de musique, ajoute un peu plus de pathos : ce n’est pas le plus intéressant.
Mais, par rapport aux précédentes expositions très commerciales dans ce lieu, c’est une agréable surprise que de visiter celle-ci, même s’ils n’ont pas pu s’empêcher de mettre deux valises Vuitton dans le véhicule de la Croisière Jaune au rez-de-chaussée; le trajet dans l’ascenseur anti-consumériste d’Eliasson les fait vite oublier.
Photos © respectivement Amal Saadé, Hadjithomas/Joreige et Yin Xiuzhen (troisième photo de l’auteur).