Par Antoinette Delafin
A. D. : Pour Samba Diallo, comme pour beaucoup d’Africains aujourd’hui, c’est un déchirement cette rencontre entre les cultures. Vous demandez-vous toujours, c’est la question que vous posiez en tout cas, si « ce qu’ils ont appris vaut ce qu’ils ont oublié » ?
C.H. K. : Oui, si le fait d’avoir appris le français entraîne qu’ils oublient le pular… Ce qui est enseigné dans « l’école nouvelle », c’est la langue française. Si le Peul qui entre dans ce cycle n’a pas au préalable appris à parler le pular ou le wolof, il apprendra la langue française mais il aura oublié sa langue. C’était un risque moindre avant l’exode rural. Du temps que les populations vivaient en famille élargie, un enfant, à l’âge de neuf ans, parlait déjà sa langue maternelle.
Tandis que maintenant, avec la déstructuration des familles traditionnelles, on envoie les enfants à l’école depuis la maternelle. Déjà, ils parlent français et ne parlent plus leur langue. Ce qu’on apprend, c’est aussi l’histoire des autres, la géographie des autres. On nous apprenait que nos ancêtres étaient des Gaulois. Au Cours moyen 2e année, je savais réciter par cœur le nom des 90 départements de la France de l’époque, avec le nom des capitales, alors que j’ignorais tout, complètement, de la géographie de l’Afrique, à plus forte raison celle du Sénégal. Donc, si le fait d’entrer à l’école nouvelle doit entraîner qu’on oublie sa langue, son histoire, son identité, ce qu’on apprend dans ce cas ne vaut pas ce qu’on oublie. Maintenant, on peut apprendre sans oublier. On peut réapprendre ce qu’on a oublié, sans qu’il y ait nécessité d’abandonner l’une ou l’autre des cultures. On doit transcrire, moderniser nos langues, les enseigner, modifier les programmes. Ne pas enseigner seulement l’histoire de France mais l’histoire de l’Afrique. Par exemple, la fondation de l’Empire du Mali en 1236 par Soundiata Keïta, qui a créé un empire et l’a doté d’une loi fondamentale, une constitution contemporaine de la Magna Carta.
(...) A. D. : Que pensez-vous des courants hyper nationalistes aujourd’hui en Afrique ou de ceux qui ont revendiqué la Renaissance africaine dans un premier temps pour arriver sur des courants très crispés sur l’identité nationale, jusqu’à l’intolérance de l’autre ?
C.H. K. : Je suis tout à fait aux antipodes et à l’opposé de ceux-là. Ma conviction est que le monde va nécessairement à son unité, à son intégration. J’aime bien ce mot de Teilhard de Chardin : « On empêcherait la Terre de tourner plutôt que le monde de se totaliser ». Le monde est devenu un. Il faut prendre compte de cela. D’autre part, il se passe des changements considérables qui ne sont pas toujours visibles : par exemple, la proportion de jeunes dans la population mondiale. Avec le développement des communications, de l’informatique, d’Internet, on voit vraiment la manière dont les jeunes sont en train de transformer le monde. Il y a moins d’intolérance, d’antagonismes d’ordre racial ou religieux parmi les jeunes du monde contemporain qu’entre leurs parents et leurs grands-parents. On se connaissait moins, on se fréquentait moins, on s’estimait moins...
(...)J’aime à rappeler ce qu’a dit Joseph Ki-Zerbo, à savoir que la longue histoire de l’Afrique atteste qu’elle a souffert d’une triple dépossession. Celle de l’initiative politique ; on dirait que l’Afrique n’a jamais eu de rois ou d’empereurs ou de constitutions qui règlementent politiquement la coexistence des Hommes depuis notre contact avec l’Occident. Il dit aussi que l’Afrique a été dépossédée de son identité endogène, de ses langues, de son Histoire. Il dit en troisième lieu que l’Afrique a vu une dépossession de l’espace. Dans le passé, on avait des empires, des royaumes, des provinces traditionnelles
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