Il y a comme ça des artistes qui, sans faire beaucoup de bruit, sans aucun fracas médiatique, se font une place dont on pressent immédiatement qu'elle va prendre de l'ampleur avec le temps. Xavier Durringer m'a fait cet effet.
Après avoir écouté la lecture d'un passage de "Chroniques des jours entiers, des nuits entières", j'étais résolue à me le procurer. Il s'agit en fait d'un ouvrage en deux tomes, qui n'est, pour reprendre les mots de la quatrième de couverture du tome 2 "pas une pièce de théâtre; ce sont des textes, des monologues, des histoires, des confrontations, des petites scènes dialoguées à deux, des fragments à dire, à jouer. Un peu comme les riffs d'une partition musicale...(...)Des états, des attitudes, des émotions."
Je n'ai pas grand chose à ajouter parce que c'est un ouvrage à ce point atypique qu'on ne peut se figurer ce qu'il est qu'en le parcourant à son tour. Pas de mise en situation, pas d'avant, pas d'après, rien que du présent. Juste des mots échangés, des émotions qui passent, des instants fugaces. Seulement des morceaux de vie couchés sur le papier, qui ne cherchent pas à enluminer la réalité, qui font vivre le temps de quelques lignes ou de quelques pages tout au plus des personnages qui peuvent nous sembler familiers. Ou pas.
Novateur dans le style.
Avant de livrer ici une petite sélection de passages tirés des deux tomes je reprends les mots couchés au dos du tome 1 : "Du sourire caché à la violence des jours entiers, de nuits entières", Xavier Durringer, avec les mots de tous les jours, invente un théâtre résolument contemporain.
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"Il y a des nuits entières où je ne dors pas...
Des nuits entières où je ne dors pas, des nuits entières...
J'y arrive pas, je me retourne dans tous les sens, je remets de l'ordre dans mes idées. Point.
Y'a des nuits entières où je ne dors pas...je dois pas être le seul...Mais j'y arrive pas...
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Il y a des jours entiers où je pense à toi.
Tu viens là comme un uppercut au plexus, me trouver, me transpercer, comme une rage de dents dedans la tête.
Tu sommeilles, tu somnoles, toi tranquille t'étirant, au fond de moi, t'écartant en moi".
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"Faudrait qu'on s'enferme pour être sûr.
Faudrait plus voir les autres.
Faudrait être que nous deux, le temps qu'il faudrait, pour être sûrs l'un de l'autre, pour instaurer une sorte de confiance, pour être sûrs qu'on est pareil, qu'on s'aime pareil, autant, l'un, l'autre, tu vois et on ferait comme le gazon pour les anglais, là, tu vois, avec des petits ciseaux, on couperait tout ce qui dépasse, tout ce qui pourrait gêner, nous gêner".
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"Vous savez combien ça coûte.
Ma veste là, elle a coûté 2700 francs.
Et vous savez combien ça coute?
Ma robe, elle a coûté 2500 francs.
Vous savez combien elles coutent mes chaussures?
Mes chaussures...heu...800, non 850 francs, c'est ça, 850 francs.
Et mes collants, vous savez combien ils coutent?
200 francs mes collants.
Et vous savez combien ça coute? Ma culotte?
175 francs ma culotte.
Voilà...Ah! non, vous savez combien ça coûte.
(elle montre une moitié de son soutien-gorge) 190 francs.
(elle découvre l'autre moitié) Pas de bol, j'en ai deux...et hop! 380 francs.
Je suis une nana à 6805 francs.
C'est pas à chialer?"
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"C'est pas le coup qui fait forcément mal, c'est le fait de ne pas le voir arriver, de ne pas le prévoir.
Ca fait comme un éclair dans la tête, ça décroche dans le noir et t'as les jambes qui se dérobent sous toi comme un petit poulain qui essaye de marcher pour la première fois, tu vois. Ca devient comme du coton et tu t'écroules et tu sais pas ce qui se passe ou ce qui s'est passé, tu cherches à quatre pattes, à tâtons, en rampant dans ton coin, tu craches ton protège-dents, tu cherches quelqu'un, quelque chose pour t'accrocher, une jambe, je sais pas, un truc et t'attends que quelqu'un t'aide, te relève, t'aide à te relever, te prenne dans ses bras, t'aime quoi! C'est les coups que t'as pas prévus qui font le plus mal".
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"J'ai le type même d'une fille sans type"
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"Tu me troubles et quand je veux dire que tu me troubles, tu me troubles".
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"qu'est ce qui peut encore me faire courir à un rendez-vous?
Le coeur battant, les jambes légères, débarassé tout d'un coup d'un poids, d'un fardeau, d'une pierre lourde invisible. Que se passe t'il soudain en moi, d'envahissant, qu'ai-je laissé derrière moi de si lourd? Pour me sentir si léger, maladroit, volant, cassant comme du verre, emporté par un flot, que tu pourrais briser sur la grève, rayer d'un regard, ou faire éclater en sanglots?"
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"j'ai toujours rêvé d'éclater cette putain de peau, de la crever à petits coups, j'ai commencé comme ça en fait, en voulant crever, faire des trous dans cette peau-là, de lui mettre des grands coups dans sa gueule, et puis le rythme est venu, jour après jour, coup après coup, saccadé, a priori j'avais rien d'un batteur, de shooter comme ça, pas fait pour ça.
C'est pas la note d'or que je cherche moi,
ni de voler à côté de mon corps,
ni de surfer,
ni de rentrer dans l'oubli,
ni de laisser une trace,
c'est pas ça,
c'est,
c'est de trouer cette peau-là,
d'imposer un rythme, mon rythme, tu vois,
tellement fin le ryhtme, subtil, précis,
comme une armée défilant au pas sur le pont,
tu vois ça, ce que je veux dire?
Au pas sur le pont
et bang tout s'écroule".
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Bon pour finir en musique, je remets ici le teaser d'une de mes grosses, mais sans doute LA plus grosse claque que je me suis prise au théâtre ces dernières années : Jean La Chance de Brecht, monté par la compagnie Nénéka (mise en scène signée F. Orsini).
JEAN LA CHANCE - teaser par wfilms