Martine Aubry ne décolle donc pas dans les sondages. Les observateurs multiplient les explications : partie trop tard, trop prisonnière du programme du PS, stratégie trop centrée sur les militants… J’en vois une autre : sa personnalité ou, du moins, l’image qu’on en a. Son passage au Ministère du Travail, la manière dont elle a imposé les lois sur les 35 heures, les confidences de ses proches donnent l’image d’une femme déterminée, décidée mais aussi capable de dire des vacheries et de se comporter de manière brutale. Or, ce portrait la fait, d’une certaine manière, ressembler à Nicolas Sarkozy auquel on reproche aussi sa brutalité (que révèle crûment le livre Sarko m’a tuer) et sa capacité à bousculer pour atteindre ses objectifs, deux traits de caractère qu’il a régulièrement mis en scène dans ses interventions publiques. A contrario, François Hollande a l’image de quelqu’un de tolérant, d’équitable, de bienveillant (“humain” disait la mère de Tristane Banon) et de courtois : il recherche l'accord plutôt que la bagarre. Il y a chez lui quelque chose de cette douceur dont parlait Jacqueline de Romilly dans un de ses livres sur la Grèce antique (La douceur dans la pensée grecque), dont on créditait les bons gouvernants. Les hommes d’Etat, expliquait, par exemple Isocrate , doivent agir pour le bien de l’Etat mais aussi “veiller avec le plus grand soin à se montrer en tout gracieux et affables dans leurs paroles et leurs actes car les gens qui négligent cela passent aux yeux de leurs concitoyens pour insupportables et de commerce trop pénible.” (Sur l’échange, 132)
On prétait également ces qualités à Dominique Strauss Kahn, ce qui explique sans doute qu’Hollande occupe aujourd’hui la place que celui-ci aurait prise s’il n’y avait eu l’épisode new-yorkais.
On dira qu’il ne s’agit que d’une affaire d’image et que ce n’est pas le plus important. Voire. Nous jugeons les candidats autant sur leur personnalité ou ce que nous en percevons que sur des programmes dont nous savons bien que la réalité se chargera de les renvoyer aux archives. Or, on peut penser que les Français ont assez goûté à la brutalité et qu’ils recherchent aujourd’hui, dans une situation qui promet d’être difficile, quelqu’un qui fasse preuve de modération dans ses jugements et qui sache prendre en considération les attentes de chacun.