D’abord, comme on nous l’assène depuis des années, il faut être prudent et penser toujours très très fort à notre Identité Nationale en serrant bien les fesses pour ne pas la perdre par mégarde dans un caniveau à force d’entendre parler le pas-français, de manger autre chose que les plats homologués – désormais patrimoine de l’humanité, grâce à notre Président –, voire de s’intéresser aux coutumes sauvages de tous les expulsés potentiels qui vous entourent dès que vous passez les frontières, qu’il soient ou non entrés dans l’histoire. Donc, voyager, c’est très dangereux pendant toute la durée du voyage.
Mais voyager, on le découvre à ses dépends, s’avère tout aussi dangereux au retour du voyage. Parce qu’à force d’évoluer jour après jour dans la logorrhée sarkozyste, on finit par développer des anticorps et par s’immuniser un peu, exactement comme pour la gastro hivernale si typiquement française. Mais si par malheur vous prenez le large et vous désarkozyfiez imprudemment, le choc en retour est alors absolument insoutenable: les petits vaccins auto-administrés et l’immunité gagnée à force d’habitude perdent toutes leurs vertus, la propagande sarkozyste vous arrive pure et sans mélange, et produit un effet qui n’est comparable qu’à un jogging dans un tunnel du périphérique entre 18h et 19h après un mois passé dans les Alpes. Écoeurant, malodorant, asphyxiant.
Mais de cela, il a déjà été question ici : c’était il y a, mon Dieu, trois ans déjà, comme le temps passe vite sans que pourtant rien ne change dans notre phormidable contrée. Rien ? Si, hélas. Car si, depuis ce triste jour de mai 2007, on se sent à chaque voyage un petit peu plus nord-coréen à chaque retour, la cuvée 2011 du dépaysement estival réservait une petite surprise supplémentaire et pas particulièrement agréable.
Après quelques semaines hors des frontières, au retour, ce n’est plus le grotesque de la propagande présidentielle qui frappe, le ridicule achevé de déclarations ministérielles ubuesques qui choque ou le scandale de manipulations médiatiques toujours plus éhontées (ah, la contribution « volontaire » des riches relayée avec complaisance par le décidément crypto-sarkozyste Nouvel Obs) qui dégoûte : c’est l’ambiance même qui règne à l’intérieur de nos frontières.
À peine le pied posé sur le sol de la Mère Patrie, pour laquelle tant de sang a été versé etc., on se sent enveloppé par une atmosphère d’agressivité, d’angoisse, de défiance à l’égard d’autrui et de violence dans les relations absolument inconcevable dans d’autres pays d’Europe. Faire la queue pour n’importe quoi devient une lutte; toute interaction donne l’impression que chacun joue son honneur et son estime de lui-même à chaque seconde, les visages sont tendus, l’urgence est partout, l’oubli de l’autre omniprésent.
Et puis soudain, après quelque jour, l’impression disparaît : on est soi-même rentré dans le moule, on a été avalé par l’ambiance. On est redevenu Français: citoyen d’un pays où le pouvoir politique a fait de l’angoisse et de la trouille son principal outil de gouvernement, où la désignation successive d’à peu près toutes les catégories de la population (chômeurs, immigrés, médecins, profs, juges, flics, infirmières, banquiers, journalistes etc.) à la vindicte publique a figé les relations et développé des haines absurdes, où le mépris affiché des dirigeants a diffusé de manière insidieuse l’idée que personne, dans ce pays où tout est à réformer, où tout le monde cherche évidemment à tricher, où chaque travailleur doit être le concurrent de son voisin et où les autres sont toujours moins utiles que soi même, absolument personne, finalement, ne vaut rien.
Pas étonnant que l’ambiance soit à l’agressivité: le sarkozysme, non content de détruire le peu de ciment social qui nous restait, a fini par piétiner la psyché collective. 2012 s’annonce bien : les collectivités qui se dégoûtent elles-mêmes ont souvent des réactions un peu troubles. Fiers d’être français, nous disaient-ils…
Dans un discours de campagne qui paraît, avec le recul, plus répugnant encore qu’en avril 2007, notre futur président nous expliquait, sur ce ton de complicité et d’évidence qui faisait bander plus de 53,06 % des Français et qui leur fait souvent honte maintenant :
« Si y en a qu’ça gêne d’être en France, qu’y ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas. »
Les « y en a que », dans la langue à la fois riche, précise et fleurie de notre dirigeant, désignait le fantasme de noirs-jaunes-arabes-verts-bleus qui lui a servi d’épouvantail et a fourni un masque idéologique attrayant pour son programme visant avant tout à servir les intérêts des 0,1 % des Français les plus riches du pays: tout le monde allait souffrir, mais on pouvait se consoler parce que les Arabes, les Noirs etc. allaient s’en ramasser plein la tête. Il y aurait toujours un type derrière soi dans la chaîne alimentaire.
Hélas, l’appel n’a pas été entendu. Ou plutôt, si, mais pas par les « y en a que » : pas de chance, ce sont les « bons » qui s’en vont. D’après le Sénat, le nombre d’expatriés ne cesse de croître, 50% de plus en vingt ans à ce qu’on dit. Ras-le-bol général ?
Reste à espérer que notre Président perde en mai prochain : à ce rythme là, après un deuxième quinquennat, il ne restera plus grand monde.
Et que deviendrait notre Identité Nationale si tout le monde se tirait?