J’attendais plus de ce doublé coréano-colombien à L’Étrange Festival. Le premier, The Unjust, était une projection courue en ce début de soirée. A quoi reconnaît-on une projection courue un dimanche soir à Paris ? A son public bien sûr, et lorsque celui-ci compte dans ses rangs Chronos Man et Plastic Man themselves, c’est que le monde des cinéphiles est à l’écoute. L’homme au chronomètre et l’homme aux sacs plastiques, le premier sur le même rang que moi, le second à son habituel premier rang sur la droite, c’est un peu la gageure que la programmation est réussie, comme disait ce programmateur new-yorkais dans le docu sur les cinémaniaques passés sur Arte il y a quelques années.
Qu’en ont-ils pensé, ces deux-là, de The Unjust ? Je n’ai même pas vraiment eu le temps de prendre le pouls des opinions à la sortie (comme si c’était une habitude, alors que j’ai plutôt tendance à préférer me recroqueviller en sortant d’un film…), mais la mienne a rapidement été limpide. Le nouveau film de Ryu Seung-Wan n’est pas à la hauteur de l’attente qu’il a suscitée. Je me souviens que l’an passé, le film sortait dans les salles coréennes alors même que le cinéaste coréen donnait une masterclass à l’Action Christine dans le cadre du Festival Franco-Coréen du Film et qu’à l’époque, j’aurais payé cher pour voir The Unjust, juste après m’être régalé de Crying Fist et Crazy Lee.
Le problème de The Unjust ne tient pas dans son sujet. Ryu Seung Wan montre de l’ambition, il s’attèle à des enjeux nobles et explosifs : pointer du doigt la corruption qui sévit dans l’administration coréenne, dans sa police et son système judiciaire. Mais à vouloir dénoncer à tout prix, il semble que le réalisateur ait oublié au passage de faire coexister son discours avec son intrigue. Certes The Unjust est un film corrosif sur les luttes de pouvoir, mais pendant 1h40, le film échoue à nous happer, engluer dans un trop plein de personnages et d’intrigues sonnant creux, malgré les dialogues à foison. Dans tous les sens, on court, on crie, on menace, mais si le film parvient à égratigner la société coréenne gangrénée par la corruption, quel apport cinématographique ?
Où est suspense, où est la hargne, où est le pouls du film ? Il n’y en a pas. Le film est une solide coquille de dénonciation, mais vide d’intuition cinématographique, vide de cette fièvre qui fait les films policiers qui comptent. Les personnages, hormis peut-être celui du procureur exalté mais bien ripoux, sont fades. L’enquête, ou plutôt les enquêtes, se suivent sans être haletantes, sans nous surprendre, sans nous passionner. C’est ainsi durant 1h40, et pourtant le film dure deux heures. Car contre toute attente, le film finit par prendre vie, à vingt minutes à peine de son dénouement, lors d’une séquence située à la morgue. Le bras droit jusqu’ici presque invisible du flic anti-héros fadasse a cette réplique pour son collègue / patron / ami, au dessus d’un cadavre : « J’espère au moins qu’on est du bon côté, qu’on est les gentils », à quoi l’autre lui répond « Ce qui compte c’est qu’on le pense ». Tout à coup, les personnages parlent enfin par eux-mêmes, prennent vie, donnent un aperçu de leur âme. Tout à coup, ils deviennent de vrais personnages de cinéma et non plus simplement des héros de papier ressemblant plus à des pantins.
Après cet épisode coréen malheureusement vain, le second film du jour se devait de dépoter un minimum pour secouer la baraque, d’autant plus qu’il passait à 22h ce dimanche soir, une heure où les curieux se font moins nombreux et moins éveillés. Mais non moins attentifs à la qualité proposée par Salue le Diable de ma part (Saluda al Diablo de mi parte), thriller colombien lançant un guérillero repenti sur les traces de ses anciens compagnons pour les éliminer un à un, répondant ainsi à un chantage promettant la mort pour sa fille si ce repenti, Angel, ne fait pas ce que l’on veut de lui. Il a donc 72 heures pour mener à bien sa série de meurtres.
Après l’errance brouillonne et décevante de The Unjust, un film d’action droit, carré, direct et clair a certainement fait du bien à mes neurones lassés. Pourtant difficile de dire que je suis sorti heureux, ou même satisfait du long-métrage de Juan Felipe Orozco. Certes le film est pêchu et claquant, certes Edgard Ramirez est de ces acteurs qui sont bons quoi qu’ils fassent, certes le film est nerveux et rapide. Mais à part cela ? Le sujet est fort, avec en filigrane une problématique sur l’amnistie des gangs de la jungle, la réinsertion des repentis et les traces laissées dans toutes les strates de la société par cette criminalité massive. Mais tout ceci est tout de même plus effleuré qu’aborder de front, et l’essentiel du film est dévolue à action, entre Angel et sa mission, son tortionnaire qui a été dans le rôle inverse, et ce flic jouant un double jeu avec sa moustache digne du Burt Reynolds de la grande époque.
C’était la journée du « tous pourris » à l’Étrange Festival, qu’ils soient coréens ou colombiens. Tous les personnages avaient au moins une part d’ombre, si ce n’est plus. Mais ça n’a pas suffit à trouver le beau dans le noir.