Le 16 août 1832, Chateaubriand, 64 ans, est à Altdorf, en Suisse, dans le canton d'Uri. Il évoque Guillaume Tell, supposé ancien citoyen du lien (mais Chateaubriand ne croit pas à ce mythe). Le 17, il passe le col du Saint-Gothard. Le 18, il est à Lugano.
Il avait voulu s'y établir, mais il n'y couche même pas. Il rebrousse chemin, repasse le Gothard, dort à Altdorf le 19, se retrouve le 20 à Lucerne.
Dans les Mémoires d'outre-tombe, la description de son passage vers le col (le chemin, la vallée de Shoellenen, le Pont du Diable) est exaltante. Notre auteur évoque Napoléon, les hordes de Barbares, les légions romaines, aligne les mots frappants. Ce ne sont qu'abîmes, masses de granit festonnées à leur cime par quelques guirlandes de neige, cascades dans des ornières caillouteuses, arêtes vives du roc où les mélèzes végètent amarrés par leur racines.
D'autant plus frappant est alors cet aveu, quelques pages plus loin (après le retour): « Au surplus j'ai beau me battre les flancs pour arriver à l'exaltation alpine des écrivains de montagne, j'y perds ma peine. »
Et de détailler. Il ne respire pas mieux et n'est pas plus léger. Son appétit ni son sommeil ne sont meilleurs. Son âme ne s'y élève pas, les soucis et « le faix des turpitudes humaines » l'accablent tout autant.
Bref: tous les topos alpins sont passés en revue et refusés.
Il est alors permis de s'interroger: pourquoi cette description précédente qui vise à enflammer le lecteur?
Un morceau de bravoure obligé? Le goût de la compétition avec ses jeunes disciples romantiques? La loi du genre?
Ce n'est pas la première fois, vous me direz, que le génial vicomte est pris en flagrant délit d'insincérité. Bon, on s’en fiche. L'important est de faire de beaux effets.