Ce qu’il y a de bien avec les festivals de cinéma, c’est qu’ils permettent de passer facilement d’un univers à un autre, d’un continent à un autre. En somme de voyager à moindre frais…
C’était le cas aujourd’hui à l’Etrange Festival qui proposait à ses spectateurs, au choix, de s’intéresser à un jeune irlandais aux curieux pouvoirs (Hideaways), de danser avec des robots en Inde (Endhiran), de suivre la difficile réinsertion des guérilleros en Colombie (Salue le Diable de ma part), de partir en Asie sur la trace de lycéens japonais violents (Confessions) ou de flics coréens ripoux (The Unjust) et enfin, de revenir en Europe pour découvrir l’oeuvre d’un cinéaste belge, Koen Mortier…
Personnellement, j’ai opté pour Hideaways, la jolie fable d’Agnès Merlet.
Après Dorothy, la cinéaste française a choisi de continuer à travailler dans la langue de Shakespeare et de tirer profit du décor naturel offert par la campagne irlandaise, à l’allure de conte de fées.
Elle raconte la malédiction dont sont frappés les hommes d’une même famille, les Furlong.
Le grand-père devient aveugle dès qu’il éprouve le moindre émoi érotique. Le père fait griller tous les appareils électriques dès qu’il éprouve la moindre angoisse et le fils, James, fait mourir toute chose vivante autour de lui dès qu’il reçoit un coup. Un pouvoir bien embêtant pour ses proches, qui ont tôt fait d’en subir les conséquences…
Suite à un incident ayant causé la mort de plusieurs de ses camarades, le jeune garçon s’enfuie et part s’installer dans une cabane isolée, en pleine forêt.
Un jour, il voit débarquer Mae, une jeune fille de son âge. Elle aussi subit une sorte de malédiction familiale. Tous les membres de sa familles finissent par décéder d’un cancer, à un âge plus ou moins avancé. Mae n’a pas de chance. Chez elle, la maladie s’est déclarée précocement. Pire, elle vient d’apprendre que le cancer des intestins dont elle souffre est incurable. Alors, elle a fugué pour profiter des derniers jours qui lui restent à vivre…
Très vite, une idylle se noue peu à peu entre les deux jeunes gens. Et leur amour semble avoir des effets bénéfiques sur leurs malédictions respectives…
Le début du film est épatant. On est tout de suite intrigué par cette histoire de malédictions familiales franchement originales, et happés par cette poésie noire qui caractérise la plupart des films de la cinéaste depuis l’excellent Fils du requin. Puis on est touchés par le sort de la belle Mae, à qui Rachel Hurd-Wood prête sa grâce diaphane et son regard clair.
La suite, à partir du moment où éclot l’amour entre les deux protagonistes principaux, est un peu moins originale, souffre de quelques longueurs et d’effets de styles qui auraient gagné à rester plus sobres.
Et surtout, elle s’exposera inévitablement aux critiques de tous ceux qui sont allergiques au romantisme et aux bons sentiments.
Néanmoins, la cinéaste assume totalement ses partis-pris esthétiques et le choix de céder au romantisme, au merveilleux, à la fable lumineuse, comme dans certains des meilleurs Tim Burton. Certains trouveront cela mièvre, d’autres, au contraire, trouveront cela très beau, sensible et poignants…
Aïe, je dois avoir un petit côté midinette, parce que personnellement, je me range plutôt dans la seconde catégorie…
En tout cas, Agnès Merlet confirme qu’elle est l’une des cinéastes françaises les plus atypiques et les plus surprenantes, en se lançant chaque fois dans des projets très différents, avec toujours le même souci de toucher à une sorte de perfection esthétique, tant sur le plan visuel que sonore, et de tirer le meilleur de ses acteurs. Et ça, personne ne pourra le contredire… (Essayez donc, pour voir…)
Ensuite, j’ai opté pour le film belge 22nd of may de Koen Mortier, intrigué par son synopsis :
Un agent de sécurité n’ayant pu empêcher l’explosion d’une bombe dans le centre commercial dans lequel il officie se retrouve confronté au sentiment de culpabilité. Errant dans les rues, hagard, après l’explosion, il voit venir vers lui plusieurs personnes présentes dans la galerie commerciale au moment du drame, qui lui reprochent de n’avoir pas détecté le comportement suspect de l’auteur de l’attentat, un jeune homme dépressif…
Il se retrouve dans une sorte de réalité parallèle où, plus ou moins aidé de ces personnes, il doit tenter d’empêcher le jeune homme de déclencher la bombe…
Le film évoque le récent Source Code, dans lequel Jake Gyllenhaal traquait un terroriste en revivant plusieurs fois les minutes précédant l’explosion d’un train. Mais la comparaison s’arrête là. Car autant le film de Duncan Jones est un thriller d’anticipation haletant, mené à un train d’enfer (c’est le cas de le dire) autant le film de Koen Mortier joue la carte de la lenteur, avec une mise en scène composée de longs plans-séquences où la caméra filme, de dos, les déambulations silencieuses des personnages, un peu comme le faisait Gus Van Sant dans Elephant.
Même si le film laisse planer un petit suspense quant à la réussite de cette tentative d’empêcher le drame, il ne s’agit pas du tout d’un thriller, et encore moins d’un film d’action.
La force – ou la faiblesse, selon les goûts – de ce film repose sur son rythme lent, lancinant, et l’atmosphère lourde, déprimante, qui en découle.
Le cinéaste revient, par petites touches, sur les vies des différents protagonistes, les raisons qui les poussaient à être présents dans la galerie commerciale au moment du drame, leurs petites histoires dérisoires, leurs espoirs, leurs regrets surtout… Pas grand chose. Juste quelques pensées fugaces et des éléments qui permettent de reconstituer la chronologie des événements. Des fragments… Ce qu’il reste de ces personnages aux vies brisées par l’explosion.
On est ému par cette atmosphère étrange où s’entremêlent regrets, sentiment de culpabilité et profonde douleur. Pourtant, Koen Mortier se refuse à verser dans le pathos. Son long-métrage est très sec, très brut, très désincarné, et, autant le préciser tout de suite, très difficile d’accès.
Non, 22nd of may n’est pas franchement le genre de film que l’on peut apprécier spontanément. Trop froid, trop sec, trop amer… Seul point de fixation pour le spectateur : la beauté de la mise en scène.
Là encore, on ne peut s’empêcher de penser à Elephant, de Gus Van Sant. Oh bien sûr, il serait hasardeux de comparer le travail de Koen Mortier à la Palme d’or du Festival de Cannes 2003, mais les démarches des cinéastes sont assez semblables, tout comme les réactions que suscitent leurs films.
Dans les deux oeuvres, l’aridité du sujet et du traitement est atténuée par un enrobage extrêmement stylisé, tout en plans séquences élégants et effets de mise en scène inspirés. Et leurs détracteurs ne manquent pas de fustiger la vacuité d’une telle virtuosité technique au regard d’un sujet aussi minimaliste…
Le point de vue se défend, mais n’est-ce pas le propre des grands réalisateurs, justement, de transcender des sujets simples grâce au brio de leur mise en scène? Combien de scénarios médiocres ont été transformés en classiques du septième art à la faveur d’une mise en scène inspirée?
Que l’on accroche ou non à ce style narratif particulier et aux partis pris esthétiques de Koen Mortier, il convient de saluer la façon dont le cinéaste belge assume ses idées de bout en bout, évoluant hors des sentiers battus et sans chercher à plaire au plus grand nombre, et livrant, in fine, un objet cinématographique hors normes, qui continue de nous titiller les heures suivant la projection…
Dans la salle voisine, The Unjust a lui aussi divisé les spectateurs. Il est vrai que ce polar sud-coréen très noir ne s’embarrasse pas trop de préambule et plonge instantanément le spectateur dans une histoire complexe de lutte d’influence entre services de police sur fond de pressions politiques et de corruption, et que ceux qui ne rentrent pas dans l’histoire ou qui en perdent le fil à un moment où un autre risquent d’être très vite largués.
J’avais vu ce film au Festival du Film Policier de Beaune, et j’avais apprécié son côté cruel et désespéré, digne des meilleurs romans noirs, tout en déplorant quelques longueurs et le cabotinage de certains acteurs…
J’aurais bien aimé écrire la même chose de Salue le diable de ma part, le thriller colombien de Juan Felipe Orozco.
Las, si le film est lui aussi affecté par des longueurs et quelques performances d’acteurs outrancières, il ne possède pas du tout la même intensité dramatique. En fait on pourrait même dire qu’il reste désespérément plat d’un bout à l’autre, bien loin de ce que le synopsis laissait entrevoir…
On y suit les malheurs d’Angel, un ancien guérillero colombien qui cherche à retrouver une vie normale après des années passées dans la jungle à séquestrer otages et opposants politiques. Malgré la position du gouvernement qui prône la réconciliation nationale et l’amnistie des ex-membres de groupuscules révolutionnaires, sa réinsertion s’avère problématique, personne ne voulant engager un anciens terroriste à la gâchette facile. Et l’homme doit aussi composer avec les envies de vengeance de ses anciennes victimes…
Un soir, l’une d’entre elles pénètre par effraction à son domicile et kidnappe sa fille. Si Angel veut la revoir vivante, il doit exécuter tous les membres de son ancienne équipe.
Angel se lance donc dans une croisade meurtrière contre ses anciens compagnons de lutte, et s’aperçoit au passage que certains s’en sont mieux sortis que lui…
L’aspect social du scénario aurait pu être son atout principal. Le sujet du pardon accordé aux anciens guérilleros et de leur difficile réinsertion dans une société colombienne fragilisée par la corruption et la violence était original et offrait un certain nombre d’options scénaristiques. Malheureusement, Juan Felipe Orozco passe complètement à côté de tout cela, préférant se focaliser sur l’action.
Après tout, pourquoi pas… Mais encore aurait-il fallu que cette partie-là soit rondement menée… Or ce n’est pas du tout le cas… Le scénario suit un cheminement bien trop linéaire pour convaincre, accumulant des scènes d’action manquant cruellement de tonus. Et les situations absurdes développées, comme l’idée curieuse d’aller tuer une des cibles dans un commissariat (oui, hein, c’est pas très futé, ça comme idée..), achèvent de plomber le film…
Si encore il y avait un peu d’humour noir pour pimenter le récit, ou un fond un brin plus mélodramatique, cela pourrait donner une bonne série B. Mais non, le cinéaste se complait dans le premier degré et la platitude narrative, nous laissant carrément sur notre faim.
Une déception, donc, pour finir la journée…
Bien, il reste toute la journée de lundi pour s’en remettre, puisque l’Etrange Festival marque une petite pause, respectant le jour de fermeture hebdomadaire du Forum des Images.
Les plus acharnés des festivaliers peuvent rencontrer Jean-Pierre Mocky et Koen Mortier au cinéma Le Méliès, à Montreuil. Les autres, et moi avec, se donnent rendez-vous mardi pour la suite de la programmation.
A mardi, donc, pour la suite de ce voyage dans le fascinant monde de l’étrange…