Dans Le Point, un intéressante analyse, construite à partir d'une éclairante interview de Dominique de Villepin dans Libé. Au delà des considérations tactique liées à Borloo et Sarkozy, un axe intéressant à suivre. Lire ici. Et l'interview de DVD dans Libé, ici ou ci-dessous.
«Il faut sortir du strip-tease présidentiel»
INTERVIEW L’ex-Premier ministre Dominique de Villepin dénonce le recours à un homme providentiel et appelle au rassemblement :
RECUEILLI PAR ALAIN AUFFRAYUn «cadavre à la renverse»,«épuisé par le pouvoir» : l’ex-Premier ministre Dominique de Villepin porte un jugement sans appel sur l’UMP, parti qu’il a activement contribué à fonder en 2002. Pas de quoi décourager Jean-François Copé qui sonne ce week-end à Marseille la mobilisation générale, à l’occasion du campus d’été des jeunes UMP. «L’esprit de Marseille, c’est l’unité et le rassemblement», a-t-il martelé vendredi. Rien à voir avec «la violence démentielle» que le député de Meaux a vu se déchaîner à l’université d’été du PS à La Rochelle. Mais, vendredi,«l’esprit de Marseille» n’avait pas encore touché le premier vice-président de l’UMP, Jean-Pierre Raffarin, pas plus que l’ex-patron du parti Patrick Devedjian. Le premier a annoncé vendredi sur son blog qu’il se mettait«en congé» du petit déjeuner hebdomadaire des dirigeants de la majorité autour du chef de l’Etat, pour protester contre les «déclarations brutales» de Nicolas Sarkozy qui n’a pas supporté que Raffarin ose contester la hausse de la TVA sur les billets d’entrée dans les parcs d’attraction. Quant à Devedjian, il se désole, dans le Monde, de ne trouver «nulle part» dans les propositions de l’UMP le «projet de société»qui «réponde aux angoisses d’une société bouleversée par la mondialisation».
L’UMP survivra-t-elle à 2012 ?
L’UMP et tous les partis politiques sont dans la même situation. Ce sont de «grands cadavres à la renverse». Ils sont épuisés par le pouvoir. Un parti, c’est une machine à défendre des intérêts. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur de la politique.
Après de multiples défections, où en est votre propre parti, République solidaire ?
Tous les partis ont leur part de comédie humaine, de bonheurs, de petits drames. Il y a parfois des calculs et des arrière-pensées. Il faut les écarter. Mais rien n’empêche une idée d’avancer. C’est pourquoi je préfère parler de mouvement, pour rassembler les bonnes volontés. Le vrai problème, dans notre pays, c’est le dysfonctionnement du fait majoritaire. Aucun parti ne peut prétendre détenir la vérité. La crise qui nous frappe de plein fouet sollicite le rassemblement le plus large possible. Je finis par penser qu’aujourd’hui il y a un avantage à la coalition.
N’est-ce pas la négation de la tradition gaulliste ?
On a construit le fait majoritaire pour favoriser le rassemblement. Mais ce fait majoritaire a été biaisé par le retour des partis. Toute la vie politique française est dominée par la conquête du pouvoir par un seul homme. Ayant été élu, le Président n’a plus le souci de tous les Français. Il a le souci d’être réélu. Et pour cela, il ne s’appuie ni sur les Français ni sur sa majorité au sens large, mais sur un noyau dur très étroit.
Cela ressemble à un procès de la Ve République…
La Ve République est taillée pour des caractères exceptionnels, à la légitimité incontestable. Le problème, c’est la déformation de nos institutions quand elles ne sont plus portées par le seul souci de l’intérêt général. Pour porter l’intérêt général, il faut un idéal, pas le souci de sa réélection. En Allemagne, quand Gerhard Schröder met en place les réformes de son Agenda 2010, sa réélection n’est pas au cœur de sa stratégie. En France, nous avons des majorités de conquête et non d’exercice du pouvoir. Dès le lendemain de l’élection, nous nous condamnons à l’impuissance.
L’obsession de la réélection, n’est-ce pas ce qui motive la dissolution de 1997 à laquelle vous restez fortement associé ?
On a pu très facilement me faire porter le poids d’une telle décision. Mais enfin, Jacques Chirac dans ses mémoires en assume la responsabilité. La dissolution, dans la tradition gaulliste, c’est un ressourcement de la légitimité en s’adressant au peuple.
Huit millions de pauvres, la droite peut-elle survivre à un tel bilan ?
Ce qui compte, c’est de trouver des solutions. Nous n’y arriverons pas sans mobiliser pleinement l’Etat. Cela fait quatre ans que je le dis : il n’y a pas de réforme sans Etat fort. Ecoutons l’Insee qui nous dit qu’il y a 8 millions de pauvres. Ecoutons l’inspection des finances qui nous dit que l’argent est gaspillé : 50 milliards d’euros dont on ne sait à quoi ils servent. La majorité actuelle, souvent par méconnaissance, donne l’impression de mépriser l’Etat. On ne peut pas mépriser l’Etat et vouloir réformer. Il faut une refondation sociale et de nouveaux outils, à l’instar du revenu citoyen que je propose.
François Fillon passe pourtant, dans la majorité, pour un ardent défenseur de l’intérêt général…
François Fillon a dit en 2007 qu’il était à la tête d’un Etat en faillite. C’est important, les mots ont un sens. Or, le gouvernement a ouvert les vannes de la dépense publique comme jamais auparavant. Quand j’ai quitté Matignon, la France était au même niveau que l’Allemagne sur le plan financier. Nous avions mené contre les déficits une lutte sans merci, avec non pas 12 milliards d’euros de réduction en deux ans comme le propose le plan de rigueur aujourd’hui, mais 50 milliards sur deux ans. Aujourd’hui, il y a un gouffre entre les deux pays. En 2013, quand la dette arrivera à maturité, la France sera le premier pays émetteur de dette en euros, à la merci du jugement des marchés et de la moindre augmentation des taux d’intérêt ! Il faut faire comprendre aux Français l’ampleur de la tâche.
On est surpris de lire, sous votre plume, qu’il faut en finir avec l’homme providentiel…
Le général de Gaulle s’est imposé dans des circonstances exceptionnelles. Aujourd’hui, personne ne vient chercher personne. Ne vivons pas d’illusion : ni François Hollande, ni Martine Aubry, ni François Bayrou, ni Nicolas Sarkozy, pas plus que moi-même, ne pouvons redresser la France seul. Il faut sortir du strip-tease présidentiel auquel nous assistons. Et moi et moi et moi ! On n’entend que cela. Nous sommes dans le temps du nous. Nous Français, qui devons nous mettre ensemble et non pas les uns contre les autres, riches contre pauvres, Français de souche contre Français d’origine immigrée. Face à l’enfant issu de familles aisées, celui des classes moins favorisées, où l’on ne maîtrise pas les codes, n’a aucune chance. Cette fatalité dans la reproduction des inégalités est insoutenable. Pierre Rosanvallon a raison de le souligner [Libération du 27-28 août, ndlr]. Je le rejoins par l’expérience. J’en ai payé le prix. Sous les sarcasmes de ceux qui me disaient battu par la rue alors que je l’étais par ma propre majorité, je me suis battu pour le CPE [contrat première embauche] parce que j’étais indigné devant cette fatalité de l’échec pour des jeunes.
Elu mais non rééligible, Nicolas Sarkozy ne serait-il pas plus ouvert à l’idée de coalition ?
Je suis sensible à vos espérances ! Mais il faut choisir avant l’élection présidentielle. Il faut être capable d’accepter qu’il n’y ait plus un seul homme sur la photo. Nous sommes dans une situation d’urgence qu’analyse très bien François Bayrou. Education, dette, compétitivité : ce sont des sujets d’urgence. Y répondre, c’est un travail de Premier ministre. Mais il ne faut pas oublier les problèmes de fond de la société française, comme l’inégalité ou le recul de la citoyenneté. Le Président, lui, doit réconcilier les Français, leur donner un avenir, le sentiment que la mondialisation ne se fait pas contre eux. La seule bonne nouvelle de cette élection, ce serait la victoire d’un ticket, d’une équipe de quatre ou cinq personnes.
Quel rôle pour le centre, auquel on vous associe souvent ?
Historiquement, le centre a toujours été mou, tacticien, calculateur. Mais ce n’est pas une fatalité. On peut imaginer un centre courageux. Ce qu’il faut, c’est accepter de se demander collectivement quel est le meilleur programme pour la France. L’automne, c’est le bon moment. Il faut ensuite qu’on soit capable de choisir un candidat au début de l’année. C’est la condition pour bousculer le jeu. Aujourd’hui, le bénéfice est à la nouveauté.
On peut gagner, dites-vous. Qui ?
Une équipe de gens responsables, qui ne se soucient pas de leur réélection.
Le 14 septembre sera rendue la décision dans l’affaire Clearstream. Forcément une mauvaise nouvelle. Pour vous ou pour Nicolas Sarkozy ?
Je me refuse à considérer qu’une décision de justice est la victoire des uns ou des autres. Il faut souhaiter qu’une décision de justice soit la victoire de la justice.
Crédit photo (journal papier): Bruno Charoy