Tout avait été prévu pour que la journée soit un succès populaire. Les écoles étaient fermées pour permettre aux élèves et aux professeurs de se joindre au cortège. De nombreuses entreprises avaient donné congé à leurs employés pour l’après-midi, enfin des bus et des trains avaient été spécialement affrétés de tout le pays gratuitement.
A 17h, lorsque les leaders politiques firent leur apparition, la place et les rues adjacentes étaient noires de monde. « Il y a au moins autant de monde qu’en 2000 lors des manifestations contre Milošević » assure un journaliste serbe, c’est-à-dire au bas mot 500.000 personnes. On retrouve dans la foule toutes les catégories sociales, tous les âges, avec une prédominance chez les jeunes, garçons et filles confondues. C’est bel et bien une partie entière de la Serbie qui s’était donné rendez-vous devant le parlement.
Des milliers de drapeaux flottaient, des drapeaux serbes bien sûr, mais également quelques drapeaux espagnol, indien, russe, roumain, grecs, autant de pays ayant annoncé leur refus de reconnaître l’indépendance du Kosovo. Sur les pancartes, outre les slogans désormais bien connus « Kosovo je Srbija », « Kosovo je crce srbije » (Le Kosovo est la Serbie, le Kosovo est le cœur de la Serbie), de nombreux messages hostiles aux Etats-Unis et à l’UE figuraient en bonne place.
Le Premier ministre Vojislav Koštunica fut le premier à prendre la parole. Dans un exercice rhétorique qui lui sied peu, il se montra toutefois offensif et déterminé : « Le Kosovo appartient à la Serbie depuis l’aube des temps. Et il en sera ainsi pour l’éternité. Ni la force, ni les menaces, ni les punitions ne seront jamais assez sévères ni assez horribles pour qu’un jour, nous les Serbes disions autre chose que : le Kosovo est la Serbie ! » a-t-il asséné sous les vivas de la foule.
Le leader radical Tomislav Nikolić lui succéda dans un tonnerre d’applaudissement. S’en prenant en particulier aux Etats-Unis et à l’Europe, il est revenu sur les évènements des jours précédents : « Les États-Unis et l’Europe ont plongé nos foyers dans la tristesse. Nous avons pleuré pendant deux jours. Le troisième jour, les postes frontières ont été brûlés. Le quatrième jour, les Serbes ont organisé ce rassemblement, le plus grand jamais vu en Serbie ». Chacune de ses phrases trouvait l’approbation d’une foule survoltée qui lançait des « Kosovo je Srbija ! ».
Les assaillants prirent d’assaut l’ambassade américaine, déjà prise pour cible dimanche soir, à coups de pierres, de fumigènes et de tout autre projectile disponible. En l’absence de toute présence policière pendant plus de 30 minutes, les casseurs sont parvenus à arracher les grilles qui protégeaient les fenêtres de l’ambassade, ont forcé la porte d’entrée avant de mettre le feu à tout le bâtiment. Dans le même temps, l’ambassade de Croatie voisine subissait le même sort.
C’est seulement un peu après 19h20 que les forces de police arrivèrent en masse pour disperser la foule à coups de gaz lacrymogène et de matraque. Le croisement autour des bâtiments officiels et de la gare était bouclé et de violents affrontements ont alors éclaté. On recense plus de 100 blessés tandis qu’un assaillant aurait trouvé la mort dans l’incendie de l’ambassade américaine.
Déjouant la stratégie de la police, de petits groupes mobiles se sont redirigés vers les rues commerçantes, faisant voler en éclat les vitrines des boutiques ayant « oublié » d’afficher leur soutien à la manifestation en collant une affiche « Kosovo je Srbija ». On assista alors à de véritables scènes de pillage, l’anarchie régnait, aucune présence policière n’était visible.
Les dégâts sont considérables, non seulement sur le plan financier, mais surtout pour l’image de la Serbie dans le monde. Du rassemblement qui s’est voulu pacifique et qui somme toute le fut, on ne retiendra que ces quelques centaines de hooligans qui ont pris prétexte du Kosovo pour casser, piller et faire régner la terreur dans les rues de Belgrade. C’est toute la stratégie de la Serbie dont les leaders avaient choisi de ne se défendre qu’avec des moyens diplomatiques et juridiques qui est ainsi partie en fumée, de cette fumée qui a réduit l’ambassade américaine à un tas de cendres.
On accuse aujourd’hui le Premier ministre Koštunica d’être responsable de ces violences en ayant organisé ce rassemblement, en ayant prononcé un discours aux allures Grand-serbe et surtout en ayant laissé l’ambassade des Etats-Unis et d’autres bâtiments sans protection policière. Celui-ci a aujourd’hui exhorté le peuple serbe à renoncer à la violence, rappelant que seuls les pays ayant reconnu l’indépendance du Kosovo se réjouissent de ces violences qui décrédibilisent le combat de la Serbie.
Une chose est sûre, les relations entre la Serbie et l’UE sont durablement gelées, non seulement à cause de la mission EULEX au Kosovo mais aussi parce que la question européenne ferait tomber le gouvernement. Dans ces conditions, il y a fort à parier que des élections anticipées ouvriraient en grand les portes du gouvernement au Parti radical d’extrême droite. Le parti démocrate de Tadić vient donc de remporter l’élection présidentielle sur une plateforme européenne, mais il en sera la première victime si le sujet vient à être abordé au sein de la coalition. L’impasse est donc totale.
Photos: Marija Jankovic