PDG de l’agence de communication Euro RSCG C&O, Laurent Habib a rédigé « La communication transformative », ouvrage de référence sur la communication. Sans langue de bois, il pointe du doigt les écueils de la publicité actuelle et préconise une nouvelle voie ambitieuse pour tous ceux qui croient en la capacité des marques à créer de la valeur. «
Délits d’Opinion : Prise de distance des individus face aux marques, rejet grandissant du marketing, comment dans ce contexte, redonner toute leur place aux agences de communication ?
Laurent Habib : Le problème de la communication est qu’elle intervient dans un champ qui est encore trop méconnu : celui de l’économie de l’immatériel. L’économie de l’immatériel c’est la construction d’actifs qui appartiennent à l’entreprise et que la marque agrège.
Cette valeur ajoutée, que les financiers appellent le goodwill, qu’on retrouve au delà des caractéristique du produit, et qui permet de croire dans une marque et de lui faire confiance, ces éléments de nature symboliques, sont en réalité les plus puissants, les plus actifs et les clés de notre économie contemporaine. Pourquoi ? Parce que la différence ne se fait plus sur les produits qui sont industrialisés, ne se fait plus sur des critères fonctionnels, parce que la majorité des expériences consommateurs sont relativement homogènes, mais s’effectue sur les éléments de marque qui deviennent un véritable point de repère.
Délits d’Opinion : Pourtant, si la marque devient centrale à vos yeux, la communication n’est paradoxalement pas un centre névralgique pour une majorité d’entreprises. Comment Euro RSCG C&O parvient-elle à mettre la communication au cœur des prises de décisions ?
Laurent Habib : Notre métier doit faire la démonstration au quotidien qu’il agrège les dimensions qui concernent toute l’entreprise. Quand je vends mieux ma bouteille d’eau minérale, je construis l’employabilité d’Evian, je construis de la valeur boursière et je construis le Personal Branding de son directeur général. Si vous parlez à votre client en vous focalisant sur le nombre de clics sur Internet, vous vous trouvez à l’endroit où vous vous êtes mis vous-même. Si vous parlez au patron de la globalité des enjeux et de sa stratégie de marque, vous l’intéresserez.
Tout l’enjeu est d’aider nos interlocuteurs, et notamment les directeurs marketing et de communication, à monter d’un cran, à ne jamais oublier l’interne quand ils parlent de l’externe, à ne pas oublier la dimension boursière quand ils parlent au consommateur, à ne pas oublier le rationnel quand ils parle du symbolique. Cette mise en commun permanente, c’est le travail que fournit C&O.
Délits d’Opinion : En quoi les principes de communication transformative vous aident-ils à revaloriser les marques ?
Laurent Habib : La communication transformative travaille sur la valeur immatérielle de la marque. Elle pose comme principe que si vous voulez agréger et créer de la valeur, il faut être moteur du changement plutôt que d’essayer de gérer de l’opinion et de répéter toujours ce que le consommateur veut entendre. Car, ce faisant, vous perdez de la spécificité, vous perdez de l’identité, et vous perdez de la valeur de marque.
Mon idée est très simple : il vaut mieux mettre au cœur de la communication les projets de l’entreprise. Parce que ce qui l’anime sera plus intéressant, plus sincère et plus efficace pour créer un système de relation qui accompagne l’entreprise. En mettant en scène son projet, on propose au client d’avoir une expérience consommateur, mais en même temps de se projeter dans l’avenir de la marque : quand vous achetez une Clio diesel, vous achetez la voiture d’un constructeur dont vous vous dites par ailleurs qu’il s’est engagé sur le terrain de l’électrique.
Quand vous achetez un produit d’une marque qui fait du B to B et du B to C, vous achetez un produit indifférencié, mais vous vous dites : « ce sont des spécialistes, parce qu’ils travaillent avec de très grands clients ». Philips l’avait fait de façon géniale, en mettant en avant les scanners. Ils valorisaient leur expérience B to B, pour que vous, en tant que consommateur qui achetez un lecteur vous disiez : « c’est une marque de référence, parce qu’ils travaillent avec des professionnels. »
Délits d’Opinion : Mais aujourd’hui, tout produit a-t-il vraiment besoin d’une marque ?
Laurent Habib : En effet, il y a des domaines où l’on a accepté les primats des marques de distributeur, d’autres où il n’existe plus du tout de marques. Mais ce n’est pas parce que des secteurs entiers sont marqués par l’indifférenciation que vous ne pouvez pas revenir avec une marque à tout moment.
La magie d’une marque est qu’elle peut recréer, notamment avec un reflexe nostalgique, un retour en force incroyable des entreprises. L’exemple de la Fiat 500 est éloquent : le constructeur réinstalle de l’innovation, de la modernité avec un produit patrimonial, à un moment même où Fiat n’a plus aucune légitimité en tant que constructeur industriel. En réalité, l’entreprise vient réinjecter un élément patrimonial qui relifte totalement la marque.
Il y a donc des secteurs où l’on peut réactiver des marques. Si je prends l’exemple de Nespresso, il est clair que pour construire une marque forte dans un secteur concurrentiel et banalisé, Nestlé a construit un écosystème complet : une innovation, un pack, un réseau de distribution exclusif, un CRM puissant…
Délits d’Opinion : Mais l’idée même de donner aux produits une valeur autre que fonctionnelle n’est-elle pas contestée par des consommateurs déçus par les promesses du consumérisme ?
Laurent Habib : Ce que nous constatons tous, et je vous renvoie à une étude du CREDOC, c’est que la dimension symbolique de la marque pèse de plus en plus dans les choix de consommation. Et, on peut le démontrer avec un outil que j’ai créé, le Brand Extensive Value. Les résultats soulignent que même dans les marchés où la dimension fonctionnelle est dominante comme la téléphonie, (secteur où l’innovation et l’accessibilité sont mis au premier plan), la dimension symbolique redevient déterminante dans les éléments de préférence et de justification du prix.
Lorsque je suis dans une évocation des facteurs susceptibles de me faire préférer une marque, ou payer plus une marque, j’ai toujours tendance à recourir à des éléments de justification qui sont dans le champ du symbolique. Je renonce à identifier des éléments fonctionnels entre deux produits très similaires : ainsi, je ne vais pas vous dire qu’une Mercedes est mieux qu’une BMW, parce que les différences objectives sont faibles. Et à ce moment là je vais basculer dans la représentation plus subjective. Soit je fais référence au champ symbolique réputationel, c’est-à-dire tous les éléments liés à l’individu, sa représentation du monde, ses valeurs. Soit je m’appuie sur les enjeux symboliques plutôt sociétaux, et qui correspondent à la montée de la dimension Corporate dans la valeur de marque.
Délits d’Opinion : Comment la marque et l’agence peuvent-elle construire cet univers symbolique ?
Laurent Habib : Il faut d’abord satisfaire le contrat de base pour éviter des crises potentielles. ll s’agit donc de s’assurer des conditions de travail élémentaire - travail des enfants, maltraitance des salariés, licenciements … Si vous ne gérez pas ces aspects vous ouvrez des lignes de fronts qui fragilisent la marque.
Mais même si vous remplissez les exigences du contrat de base, reste à trouver des éléments de différenciation et d’affirmation de votre identité symbolique. Prenons l’exemple du luxe : cette identité symbolique peut être construite par association avec des valeurs de l’individu. C’est notamment ce qui se passe dans les associations avec les stars. Mais, vous pouvez aussi les construire grâce à des associations avec des lieux, des univers, des façons de faire, avec l’artisanat, ou bien encore l’histoire de l’entreprise.
Dans le champ sociétal, vous pouvez prendre des positions. C’est ce qu’à fait une marque comme American Apparel : les fondateurs se sont engagés en faisant fabriquer les produits exclusivement par des habitants de Los Angeles, luttant ainsi contre le chômage local. Une marque peut donc prendre sur certains sujets une position idéologique. Vous pouvez donc construire un patrimoine de marque en allant chercher dans votre histoire, dans votre identité, ou parmi les convictions du chef d’entreprises. Mon engagement en tant que chef d’entreprise va donner du caractère à la marque.
Délits d’Opinion : Face à ce défi, comment les études et le planning stratégique peuvent-ils servir les marques ? Et comment convaincre les clients que le manque de personnalité, le non-choix est la pire des options stratégiques ?
Laurent Habib : L’énorme risque pour les études est de tomber du côté de l’unanimisme social. C’est une menace pour les marques et les entreprises, parce que se créée alors de l’indifférenciation, donc de la destruction de valeur.
Les études doivent réinventent leur métier, ne pas donner aux annonceurs des raisons d’avoir peur, mais des raisons d’être courageux. C’est un sujet vital. Si vous donnez aux annonceurs des raisons d’adopter une posture courageuse, en leur parlant des potentialités de création de valeur, si vous leur montrez la façon dont les actifs immatériels peuvent être mobilisés au service de la stratégie, vous les aidez. Si vous leur montrez les oppositions et les risques en toute chose, vous créez des rabots au lieu de favoriser les émergences.
Propos recueillis par Matthieu CHAIGNE