Mais ce modeste rêve est trop ambitieux car Gervaise est victime de deux fatalités : celle de sa famille, qui paie de génération en génération les tares des aïeux, et celle de son milieu, le milieu ouvrier voué à une vie de chien. On peut ajouter une troisième fatalité : celle qu’impose l’auteur, qui ne peut ni ne veut donner aucune chance à son personnage, si attendrissant soit-il.
C’est d’ailleurs avec cynisme que le narrateur fait espérer une vie de bonheur à son personnage : Gervaise devient patronne ! Avec quelle fierté elle contemple la Goutte d’Or de son pas de porte !
Mais c’est un leurre : son ascension n’a d’autre but que de la faire tomber de plus haut. Grignotée par deux sangsues, Coupeau et Lantier, la jolie boutique bleue ne peut lutter bien longtemps : l’argent fuit, les dettes s’accumulent, le linge sale envahit l’espace, et Gervaise baisse les bras. Sa fille, Nana, est une peste qui fugue quand il fait trop faim. Tout se dilate : la volonté fragile de Gervaise pour lutter, sa peur de l’anisette, son corps qui s’enfle, son estime pour elle-même, et son langage qui devient ordurier…
La déchéance est totale, sur tous les fronts : matérielle, physique, sentimentale, morale, et langagière.
Ses contemporains ont reproché à Zola « la verdeur » du langage des personnages. C’est pourtant cela qui fait l’intérêt de L’Assommoir, et qui annonce, d’une certaine manière, Le Voyage au bout de la nuit de Céline.
566 pages, coll. Livre de Poche - 3,80 €
Billet écrit par une lectrice du BàL