L’autre jour, comme ça, je regardais le 20h de France2. Jusque là rien d’inquiétant. Mais tout à coup on sentit le présentateur David Pujadas un peu émoustillé, comme s’il devait recevoir Maria Sharapova ou Simone Veil.
Mais, non, c’était Laurence Parisot du MEDEF, la présidente du Mouvement des entreprises de France. En bon journaliste français, David évita de poser des questions sur l’affaire de L’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie, sans doute le plus gros scandale de la Vème République. Mais comme il ne voulait pas non plus passer pour un mariole, il lui parla, en fronçant les sourcils, de l’augmentation de 40% des salaires des patrons. Laurence Parisot ne se laissa pas démonter (peut-être qu’elle s’attendait à ce qu’on aborde le sujet un jour ou l’autre) et lui répondit qu’il existait une autre étude qui prouvait le contraire.
C’est vrai aussi que David Pujadas avait comme source le journal « La Tribune » et que ce n’est pas très sérieux quand même. Jusque là rien d’anormal pour un 20h. Mais, alors que l’on s’attendait tranquillement à un discours rôdé sur la faiblesse des primes et des stock-options de certains grands dirigeants du CAC 40, la présidente des patrons de France employa un langage uniquement connu d’elle-même et de ses proches.
Croyant à une déficience de mon vieux poste de télévision, je le tapotais sur le côté comme le faisait l’inspecteur Derrick. Mais l’incident se reproduisit et Laurence Parisot répéta à plusieurs reprises qu’il fallait Benchmarker, que tout le monde devrait Benchmarker et que désormais il faudrait compter sur le Benchmark. Après quelques minutes de stupeur, j’ai appelé un ami qui s’y connaît en langage codé (il parle le Domenech couramment) et il m’a dit qu’il existait une vidéo sur Dailymotion où elle employait le même vocabulaire. Après, Je suis allé jeter un coup d’oeil sur le site du MEDEF (graphiquement très ingrat, d’ailleurs). Là, sur la page de présentation, il y avait en exergue un discours de Laurence Parisot, la copine de Sarkozy, que je vous retranscris tel quel : « c’est que benchmarker c’est la santé ! J’adore la langue française et je voudrais que Mesdames et Messieurs nos académiciens fassent un jour entrer dans notre dictionnaire le mot de benchmarker. Car il nous manque ! Benchmarker, c’est comparer, c’est étalonner, c’est mesurer, ou plus exactement, ce sont ces trois actions à la fois : benchmarker c’est évaluer dans une optique concurrentielle pour s’améliorer. Benchmarker c’est dynamique. C’est une grande incitation à ne pas rester immobile.Se benchmarker, c’est oser regarder dans le miroir… ».
Désormais, il n’y avait plus de doute possible, tout cela n’était pas le fruit du hasard, ce n’était pas un dérapage ou un quelconque relâchement coupable. Il y avait là une farouche volonté d’imposer un mot qui, à priori, n’a rien à faire dans la langue française. Car, vraiment, que va t-on faire d’un anglicisme aussi écrasant qu’une déclinaison allemande ? Pourquoi une telle lourdeur pour un tel vide de sens ? Le mot « comparer » (puisque c’est ce mot existant que l’on veut remplacer par cet indigeste « benchmark »), on le trouve dans une phrase de la Bible que la présidente du MEDEF ferait bien de méditer : « Quand je me considère, je me désole, mais quand je me compare, je me console. » On peut effectivement considérer que l’utilisation de ce Benchmark est désolante, regrettable et dispensable.
Car ce n’est peut-être pas le moment d’enrichir la langue française (en a t-elle vraiment besoin ?). Il y a sans doute mieux à faire si l’on en juge le niveau de compétitivité des entreprises françaises, avec ce déficit record du commerce extérieur (on avoisine les 30 milliards quand l’Allemagne affiche un excédent de 167 milliards d’euros !!). On connaît les sempiternelles explications quant à cette faiblesse chronique : une fois, c’est l’aggravation de la facture pétrolière, après c’est l’Euro trop fort, sans compter ces charges qui assassinent nos PME, sans parler de ce satané code du Travail qui procure des bouffées délirantes chez les dirigeants hexagonaux. Conscient des suppliques des entreprises françaises, le chef de l’Etat, à l’instar de ses prédécesseurs, a proposé en décembre dernier une série de cadeaux fiscaux en direction des PME. De son côté, Laurence Parisot pourrait nous faire un beau cadeau en utilisant des mots du dictionnaire. Cela aurait deux avantages majeurs, le premier de se rendre intelligible (en particulier lorsque l’on s’exprime au 20h de France2) et ensuite de faire que le monde de l’entreprise paraisse plus abordable, plus séduisant. C’est tout de même le lieu où, en majorité, chaque Français va passer les trois quarts de sa vie….
par Arnaud
22/02/2008
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