Présentation de The Clock
- Le sentiment, en tant que spectateur, de vivre une expérience rare, unique et singulière. La dernière fois, ça devait être Inland Empire de David Lynch, mais c’était encore un film… D’ailleurs, pendant le visionnage de The Clock, le film qu’on a vu juste avant à la Cinémathèque – Ten de Blake Edwards, très bon au demeurant – s’efface : ce n’est qu’un film après tout, lui, fait d’un début et d’une fin. Voir The Clock, c’est autre chose, c’est casser les cadres, réapprendre ce qu’est, pour le spectateur, la liberté totale.
- La liberté. Celle,
déjà, de partir quand on veut. Celle, surtout, d’octroyer à l’œuvre la durée que l’on souhaite. Bien sûr que The Clock a une durée (24 heures), mais qui l’a visionné entièrement ?
Ce n’est ni un court métrage ni un long métrage, ça dépasse ces bêtes catégories. Pourtant, c’est assurément du Cinéma. De tous ceux qui ont vu The Clock, seuls ceux qui sont venus
ensemble – en groupe, en couple, qui
sont arrivés et repartis au même moment – ont vu la même chose. On peut en parler aujourd’hui, lundi, avec des amis qui y sont allés ce week end, mais on n’a pas vu les
mêmes choses, on n’est pas resté tous aussi longtemps. À chacun, son expérience singulière d'une œuvre qui ne peut s'englober d'un coup.
- Aussi était-il sans aucun doute important de voir The Clock seul. Sans pression pour partir, pour rester, sans l’idée d’un rendez-vous, d’un repas, d’une fête, derrière. Partir quand on veut. Rester deux heures, trois heures, quatre heure. Revenir dans le cœur de la nuit ou au petit matin. Expérience fascinante et jamais lassante.
- Car The Clock est une hypnose. C’est "le" film immersif avec lequel la 3D ne peut rivaliser. D’ailleurs, il y avait très peu de va-et-vient dans la galerie. Les gens viennent pour longtemps, s’installent. Le mieux, peut-être, c’était de s’allonger par terre, totalement à l’aise, porté par le cours du temps, par le flux des images. S’allonger, se déplier, s’étirer, repartir pour un tour de cadran.
- On pouvait fermer les yeux. La bande son fait le lien, superpose le son de telle scène au déroulement de telle autre. Elle évite les brusques cassures, elle reconstruit une linéarité que les images contredisent. Pourtant, les raccords dans le mouvement sont là pour donner l’illusion de la linéarité, les champs/contrechamps et le simple jeu du montage créent des liens forts et inattendus entre les films, les genres et les époques. Christian Marclay, sur cela, n’a rien inventé. Le cinéaste expérimental Mathias Muller faisait déjà ça il y a près de vingt ans. Mais la synchronisation du film avec le temps réel, le gigantisme maniaque du projet, tout cela en fait une œuvre unique, quintessence du cinéma mash-up.
- La beauté de The Clock est là, aussi. Dans le mélange permanent qui fait s’entrechoquer les cinématographies et les genres les plus hétérogènes, sans souci du bon goût cinéphile, avec le simple et pur plaisir du jeu.
- En voyant The Clock, je me suis rendu compte aussi que c’était la première fois que je fixais une horloge plus de trois heures durant…
- Je n’ai regardé ma montre que deux fois : histoire de le faire, ce geste idiot et inutile, histoire de se raccorder au réel, juste pour vérifier.
- Et puis la machine
s’enraye parfois. Soudain, une horloge n’est pas à l’heure. Ça dure quelques secondes. Et un personnage apparaît qui tourne les aiguilles et rétablit le cours du temps. Ce fut le cas vers 23
heures. En début d'après-midi aussi, apparemment. Un autre film, les mêmes gestes. C'est un peu le principe de The Clock d'ailleurs.
- Le temps malmené justement. Pendant le visionnage, on a encore plus apprécié les incursions d’images de films qui en faisait leur sujet direct. Des boucles, des voyages dans le temps, des flashbacks, des flash-forwards. Vertige de la mise en abyme, donc, quand on reconnaît Un jour sans fin, Retour vers le futur, Quelque part dans le temps, C’était demain ou Terminator…
- Un regret quand même : ne pas savoir par quelles images (de 11h et de 10h59 du matin
commence et finit The Clock...