Pour l'insolence, personnellement, je m'en doutais déjà : depuis la première fois où je l'ai vu dans le petit écran, et toutes les très nombreuses fois qui ont suivi, j'en étais de plus en plus persuadé. Insolent, imbu de lui-même, impertinent (dans le sens pas pertinent) et finalement - plus embêtant - aussi inoffensif qu'un littérateur précoce.
Mais pour le talent...
J'avoue : je me suis laissé surprendre par la lecture de Mort et vie d'Edith Stein, son dernier bouquin, fini en septembre et publié en décembre 2007.
Dans un premier temps, l'écriture surtout m'a terriblement agacé. Et dans l'écriture, soyons précis : la ponctuation. Et parmi ces ponctuants, soyons précis : les ":" intempestifs. Eh bien oui : Yann Moix se fend d'un usage très abusif et pour tout dire : compulsionnel des : ":". C'est non seulement incorrect sur le plan syntaxique (le plus souvent), mais ça peut en outre paraître : complètement gadget.
Mais zut : il écrit bien tout de même. Dans une langue variée, bourrée d'images qui télescopent l'hier et l'aujourd'hui, la mort d'Edith Stein en 1942 dans une chambre à gaz et la France de 2008. Et puis il a bien le droit d'user de la ponctuation comme il l'entend : depuis quand les œuvres littéraires les plus percutantes seraient-elles celles qui utilisent la langue avec la plus grande correction, au sens scolaire du terme ?
« Ce livre raconte l'histoire d'une femme (1891-1942) qu'on a tour à tour nommée Edith dans sa famille, Fraulein Edith Stein au lycée, Doktor Edith Stein à l'université, sœur Thérèse au Carmel, matricule 44 074 à Aushwitz, et sainte Thérèse Bénédicte de la Croix au ciel ». Voilà le pitch. Béatifiée en 1987, Edith Stein entre en sainteté en 1998, sous Jean-Paul II.
Et Yann Moix donne raison à cette sanctification. Ce qui le préoccupe ici, c'est de retracer la vie et l'œuvre d'Edith Stein en 194 petites pages, elle qui en noircit des milliers. Ce qu'il se met en tête, c'est de démontrer à travers cette hagiographie moderne qu'on peut être juive et chrétienne, femme et sainte, morte et immortelle, individuelle et collective.
Seul reproche, au final : Edith meurt à la page 151, et par un curieux phénomène d'empathie, ou que sais-je, Moix divague ensuite jusqu'à la page 187 incluse, essayant d'établir des équations à quatre termes : Israël, temps, espace, France, et n'y arrivant pas, et se gargarisant visiblement de ne pas y arriver. C'est soûlant pour le lecteur aussi, mais pas dans le bon sens du terme.
Pour conclure, je ne résiste pas à la tentation de vous citer une pleine page d'aparté :
« Hé, lecteur, tu as fait quoi de ta vie ?
Je sais que tu triches, que tu n'es pas très sincère. Que tu (te) mens. Tu ne sais pas que faire de tes journées, tu as peur de rester tout seul chez toi. Tu sembles peureux, et je sais que : tu as peur de la peur. Vaguement, tu déprimes. Tu te promènes, tu fais des « achats », tu te trémousses dans quelques lits, avec des corps frôlés : tu jouis, hop hop (c'est fait, arrrgh). Tu te fais croire, parfois, devant une feuille blanche, que toi aussi tu es un gros malin, que tu as des choses politiques, thermodynamiques, poétiques, philosophiques à dire.
Tu prends des notes. Tu écris ton journal. Tu confies des choses à ton « blog ». Ça pour bloguer tu blogues. Tu dois pas prier des masses, tel que je te connais (je ne te jette pas la pierre, je ne prie pas non plus).
Je voudrais que, pour une fois, tu t'intéresses à une sainte : que tu te passionnes pour : Edith Stein. C'est une femme extrêmement originale. Un individu totalement individuel. C'est une philosophe très, très spéciale : elle mêle Husserl au Christ, la phénoménologie à la Croix. C'est assez fascinant. Tu n'entres pas dans une église. Mas dans une vie : une vraie. »
Yann Moix, Mort et vie d'Edith Stein, éd. Grasset 2007, p. 47-48.
Des passages dans ce goût-là, il y en a plusieurs. Ce sont eux qui m'ont convaincu de suivre attentivement cet auteur dont la voix m'avait tant plu, un beau matin de 2003, à la radio, sur une route du Loiret.
194 pages, éd. Grasset - 14,90 €