Les foudroyés de Paul Harding

Par Ngiroux

Georges Washington Crosby se mit à avoir des hallucinations huit jours avant de mourir. C’est au tic tac de ses horloges, des membres de sa famille qui l’entourent, que ce mourant se souvient.

«Dans un miroir, George contempla  son visage avec étonnement, comme si, après avoir toute une vie durant croisé son reflet dans les miroirs, les vitres, le métal et l’eau, il voyait à présent, à la fin, un personnage inconnu, impatient et grossier, prendre subitement sa place et, ignorant sa réplique, se hâter de faire son entrée en scène sans attendre que Georges en fût sorti d’abord.»

En continuelle alternance, Georges se remémore son père : il y a soixante-dix ans, Howard Aaron Crosby gagnait sa vie en conduisant une carriole de bois.  C’était une commode  montée sur des essieux et des roues à rayons en bois. Howard vendait des brosses, de la cire à bois, de la poudre dentifrice et des bas de laine, du savon à raser et des rasoirs à manche, etc. Howard est épileptique. Au risque d’être envoyé en hôpital psychiatrique, Howard n’aurait pas pu passer la journée à envisager la possibilité de quitter sa famille, à en peser sérieusement les implications, puis pour finir, malgré tout, la quitter en effet. Il eût été trop pénible de réfléchir à un tel geste puis de passer à l’acte.  Alors il ne réfléchit pas.  Il partit.

Une très étonnante surprise ce  Pulitzer 2010. Un premier roman de l’auteur au  titre original Thinkers, un roman très insolite, un poème lyrique, des tableaux d’un autre siècle en alternance entre ce fils mourant et son père, une écriture envoûtante, parfois surréaliste, originale, éblouissante,  parfois très concrète, un regard bucolique, contemplatif, une ode à dame nature. Des influences de Thoreau s’insinuent, un roman très dense, exigeant, mais qui vaut assurément l’effort.