Parce qu’une fille à la page et ultra-branchée ne peut décemment pas avoir un smartphone qui n’imiterait pas Louis de Funès ou Djamel Debbouze, ni un fond d’écran qui ne se ferait pas lécher par un chiot, un panda géant ou une blatte équatorienne.
Hier soir, je regardais la télévision (il y avait une émission formidable à propos du tuning sur AB Moteurs, ça me rassure toujours de regarder ça quand j’ai trop honte de pas encore avoir mon permis). AB Moteurs, c’est une chaîne de télévision du groupe AB (forcément), qui est une société audiovisuelle formidable qui propose des chaînes thématiques à tout ce que la France compte comme bénéficiaires des minima sociaux (les fans de tuning, donc, et puis aussi les chasseurs qui ont Chasse et Pêche, les autistes agoraphobes qui ont Manga, les gens un peu simplets qui sont restés bloqués sur « Les vacances de l’amour » avec AB1, et même les obsédés sexuels vieillissants qui n’ont jamais entendu parler de Sasha Grey, avec Marc Dorcel TV).
A un moment donné, ils ont coupé l’émission (à un moment-clé, puisque Jean-Kevin, le champion du Pas-De-Calais, était en train de tester le cinquième pot d’échappement qu’il venait de rajouter sous les ailes d’avion de chasse de sa Citroën Saxo) et on a eu une page de pub. Entre une réclame pour Soleil-Vaisselle et une autre pour les rasoirs à douze lames Gillette, il y a eu tout à coup une petite musique qui m’a rappelé la sonnerie du rappel dans l’institut pour enfants trisomiques où j’ai travaillé quand j’étais plus jeune. L’écran de ma télé est devenu tout rose, j’ai eu un peu peur parce que j’ai cru qu’il était cassé, et puis une voix qui ressemblait à celle de Maéva (c’est ma collègue de travail qui est très gentille mais pas complètement finie au niveau synaptique) s’est mise à faire des « hiiii » et des « houuu » comme dans un épisode des Télétubbies, et elle a crié dans la télé que « pour savoir si ton mec qui t’a quitté samedi dernier sur le parking du Macumba de Vesoul va revenir te demander pardon et t’offrir un coffret Sephora soldé juste pour que tu le laisses encore jouer avec ta poitrine à l’arrière de sa Fiat Uno, envoie vite Mec au 83838! ». A la fin de la séquence, il y avait tout plein de petits caractères qui défilaient à toute vitesse en bas de l’écran, mais on ne pouvait pas les lire parce que c’était vraiment écrit trop petit et que ça défilait vraiment trop vite.
Ensuite, on a eu une pub pour un bateau en kit à monter soi-même, il faut acheter chaque semaine un journal à cinq euros avec, dedans, une pièce supplémentaire. Je me suis demandé s’ils faisaient le Titanic et s’ils fournissaient les cadavres des 1520 passagers (je prends de l’avance pour Noël et je sais que Phlegmon, elle übber-kifferait un cercueil flottant avec tous les morts dedans, c’est pas qu’elle est dérangée, c’est juste qu’elle fait une fixation mortifère libératoire liée à son Œdipe, a dit le psychiatre).
Après le coup du bateau, mon écran a de nouveau changé de couleur, il est passé au bleu électrique, avec une voix pleine de testostérone comme celle de David Hasselhoff et une musique qui faisait penser à ces concerts où des musiciens nus et velus du torse égorgent des poulets vivants avec leurs dents. La voix de David Hasselhoff a beuglé « T’as fait une nouvelle rencontre? Pour savoir si elle est chaude, envoie chaude au 87799! ». Là non plus j’ai pas trop compris ce qu’il voulait dire, surtout avec tous ces petits caractères qui défilaient trop vite en bas de l’écran et ces gifs animés de fesses de filles qui dansaient dans tous les coins.
Après on a eu une réclame pour le DVD de Jean-Marie Bigard, une autre pour celui de l’intégrale d’Hélène et les garçons (remastérisé en Dolby Digital et Blue-Ray), et puis de nouveau l’écran qui clignote comme un sapin de Noël, une voix étrange (cette fois on aurait dit un mélange de Maïténa Biraben et de Macha Béranger) qui disait « Peur de l’avenir? Envoie 2012 au 89963 et découvre si Nicolas Sarkozy sera réélu! »
En tout, il y a eu sept pubs sur le même modèle, qui demandaient toutes d’envoyer un SMS à un numéro à cinq chiffres. On pouvait télécharger des tortues dansantes qui chantaient comme Fernandel et léchaient l’écran du téléphone, des petits oursons qui récitaient Le Cid de Corneille en verlan tout en frottant leur cul à l’écran, des sonneries trop rigolotes qui faisaient des bruits de pets ou de vomissements, des messages d’accueil de répondeur qui demandaient au correspondant de « bien vouloir patienter-poil au nez » avec une imitation pas très bonne de Titoff et même des ballons de foot qui pouvaient traverser l’écran pour te signaler que tu as un SMS (et que tu viens accessoirement de te choper une bléno carabinée avec ta dernière cal-girl de luxe). Loutre m’a expliqué, après coup et sans rire, que si tu n’as pas un téléphone de plouc customisé, aujourd’hui, tu ne peux pas prétendre faire partie des gens dans le vent et que même, si ça se trouve, tu ne peux pas entrer au Garage de Guénégan, qui est la discothèque la plus hype du bourg et même au-delà.
Le lendemain, j’ai pris mon téléphone professionnel et je suis allée chez mon fournisseur. Je suis entrée dans la boutique, y’a un jeune homme encore couvert d’acné qui m’a accueillie en m’exhibant ses bagues dans un sourire pas très joli et qui m’a demandé ce qu’il pouvait faire pour moi. Comme je pouvais pas lui demander de fermer la bouche parce que ça se fait pas, j’ai dit:
- Bonjour, le monsieur de Bouygues Télécom, c’est rapport aux pubs que j’ai vues hier à la télé, ça m’a grave donné envie de changer de modèle pour le boulot.
- Oh, il a fait, mais je vois que vous avez un Blackberry de toute beauté!
- Nan, j’ai dit, il est pas chouette, c’est mon patron qui me l’a donné pour pouvoir m’envoyer des mails la nuit et pendant les vacances, il fait La lettre à Elise quand il sonne, sur le répondeur y’a la voix de Pascale Clark qui demande sagement de laisser un message au lieu de sortir une blague de Toto, et puis j’ai le Mont-Blanc en fond d’écran alors que je pourrais mettre le zob de Michel Petrucciani, ça ferait bien rigoler Maéva et la concierge de mon immeuble aussi.
- Mais on peut faire tout ça avec un Blackberry, a dit le jeune homme avec la bouche pourrie.
- Ah bon? Parce que moi je voudrais échanger mon téléphone tout nul contre les trucs qu’on voit à la télé, ceux qui pètent, qui rotent, qui imitent Christian Clavier dans Les visiteurs et qui affichent des paires de fesses tremblotantes quand on reçoit un SMS. Je voudrais aussi qu’il puisse me dire quand mon chat arrêtera de chier dans l’escalier, quand ma gamine s’intéressera aux Petshops plutôt qu’aux films d’horreur de la Hammer et aussi quand je vais recevoir une augmentation de salaire. Je veux un vrai téléphone de beauf, quoi. Mais comme ça me gonfle d’envoyer trente euros de SMS surtaxés à des boîtes lituaniennes basées en Mésopotamie et tenues par la mafia japonaise, je me suis dit que ce serait moins cher de le changer ici. Voilà.
Le jeune homme, il m’a regardée comme si je venais de cracher sur la tombe de Grégory Lemarchal (dont il ne faut pas se moquer parce qu’il avait des lunettes, ou bien qu’il était malade, je sais plus très bien). Il a pas voulu me changer mon téléphone. Je suis rentrée chez moi déçue et amère, j’ai même shooté dans un bichon maltais dans le square près de chez la Mère Pouliguen.
Si j’ai pas un téléphone qui siffle Le Chant des Partisans sur l’air de la Macarena en faisant défiler des coussins péteurs sur l’écran, je pourrai jamais entrer au Garage de Guénégan.
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