Une musique d’une telle honnêteté et d’une telle justesse ne peut être née que d’un esprit dissident. Et le moins qu’on puisse dire est que “Fractured Life” n’a pas le son d’une scène spécifique. Air Traffic vient de nulle part et ne se réfère à aucun groupe. Comme Radiohead, originaire d’Abingdon, ou Muse, de Teignmouth, Air Traffic est un produit improbable de Bournemouth, ville côtière du Wessex qui ne brille pas exactement par sa tradition rock. Comme le précise Chris Wall, chanteur et principal compositeur du groupe : “Il n’y a pas de salle de concert, et aucune pression pour appartenir à un courant. Idéal pour développer son propre style !”
Au départ, le style de Chris Wall s’est surtout nourri de ses racines celtiques. Ses parents sont nés et ont grandi en Irlande, et son oncle, le célèbre chanteur folk Jimmy McCarthy, habite toujours à Cork. “Lorsque j’avais seize ans, je voulais être comme lui” se souvient Chris Wall. Particulièrement précoce au plan musical, il a appris, seul, la guitare et le piano. Il a ensuite joué de la flûte et du saxophone dans le Southern Youth Orchestra, mais n’avait aucune ambition musicale : “Je préférais traîner sur la plage et faire du surf. Je n’allais jamais aux concerts et n’achetais pas beaucoup de disques.”
Chris Wall a commencé à jouer en groupe en 2003, après une première prestation à un concert d’école. Sa reprise solo de “Go To Sleep”, de Radiohead, a attiré l’attention du batteur David Jordan et du guitariste Tom Pritchard. Air Traffic a d’abord existé parallèlement aux études et n’est devenu une affaire sérieuse qu’en 2005, année que Chris Wall a passée à voyager. Atteint de curiosité nostalgique alors qu’il résidait dans une ville de surf en Australie, il a téléchargé quelques titres de son ancien groupe et eu une véritable révélation : “J’écoutais ‘Charlotte’ comme si je ne l’avais jamais entendue avant, comme si Dave et moi ne l’avions pas écrite. C’est alors que j’ai réalisé à quel point c’était une chanson spéciale.”
Le groupe a alors décidé de reprendre du service et de recruter un bassiste, Jim Maddock. Air Traffic s’est installé à Londres et les événements se sont précipités à partir du moment où ces étudiants-musiciens se sont mis à investir leur argent dans du temps de répétition et de studio. Au bout de quelques mois, tous les labels se battaient pour signer le groupe. Beaucoup de chansons, de “Fractured Life”, comme “Never Even Told Me Her Name”, décrivent ce sentiment d’excitation éprouvé par les quatre jeunes hommes âgés de vingt et un ans lorsqu’ils ont senti leur carrière démarrer. “Shooting Star” est une autre des chansons qui évoquent l’ascension du groupe, dotée d’une mélodie sublime sur fond d’effets théâtraux rock’n’roll. Tandis que l’industrie se penchait sur leur cas, Chris Wall et David Jordan ont aussi composé “I Can’t Understand”.
Heureusement pour tout le monde, la folie a été tempérée par l’intervention de David “Faultline” Kosten, qui a vu le groupe sur scène à Highbury, début 2006, et est devenu son mentor. C’est d’ailleurs lui qui a produit “Fractured Life”, aux studios Rockfield, et a fait signer Air Traffic avec Tiny Consumer, label distribué par EMI.
Dès lors, les chansons sont devenues plus sombres. Peu après l’arrivée du groupe à Rockfield, Chris Wall a appris qu’une bonne amie de sa compagne avait trouvé la mort dans un accident de voiture au Canada. Ce coup du sort a inspiré un des moments les plus poignants de l’album, la ballade au piano “Empty Space”. “Vivre cette expérience à Rockfield a eu des vertus cathartiques. Nous nous sommes concentrés sur ce que nous faisions et avons réalisé à quel point nous étions différents des autres groupes” précise Chris Wall. Ce constat s’exprime de manière insolente dans “No More Running Away”, un hymne venu du ciel remué par une batterie tribale. Cette notion de différence est également développée dans la chanson qui donne son titre à l’album, dernière à avoir été écrite, et qui, comme “Empty Space”, atteste de la confiance grandissante de Chris Wall en tant que chroniqueur d’émotions compliquées.
Le challenge pour Air Traffic aujourd’hui, va être de communiquer avec un monde qui connaît surtout le groupe via son hymne punkoïde “Charlotte” et le sautillant “Just Abuse Me”. “Les gens qui viennent nous voir participent vraiment maintenant, signale Chris Wall. Ils crient et chantent avec nous. A nous de les emmener ailleurs.”
Il n’y a qu’à les regarder partir. Dans un monde où il est facile de confondre ce qui a l’air urgent avec ce qui l’est vraiment, Air Traffic est gagnant. Sur tous les tableaux.