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Chroniques de la Lune

Publié le 05 septembre 2011 par Www.streetblogger.fr

Chroniques de la Lune

Qu’est ce qu’une culture noire populaire ?

La question est d’autant plus importante qu’elle est complexe. Doit on ne considérer que la culture matérielle et dans ce cas prendre en compte les inventions techniques de savants noirs comme George Washington Carver ou Howard Latimer et d’autres, qui vont du feu de signalisation au réfrigérateur en passant par le siège des toilettes, l’ascenseur, l’aiguillage des voies ferrées etc.

Ou doit on être encore bien plus prosaïque et ne penser qu’à une recette de poulet qu’un célèbre moustachu à lunettes a probablement « emprunté » à sa cuisinière.

Doit-on ne penser qu’à la culture idéelle où la musique a une place prépondérante du Blues au Jazz en passant par le Rock, la Soul, le Funk etc., mais pas seulement puisque l’idée de citoyens à trait d’unions (italo-américains, irlando-américains etc.) découle directement des revendications des afro-américains et de leur lutte pour l’obtention des droits civiques.

Est-ce qu’un coréen qui fait du R’n’B et qui s’inspire pour ses tenues directement de celles mises en avant dans la Blaxploitation, qui sont déjà décrites dans les romans de la période précédente, peut nier l’influence d’une culture noire populaire ?

De même est ce que l’on mesure bien l’effet de la Blaxploitation, qui est demeuré un genre cinématographique mineur, sur le reste de la production hollywoodienne, surtout en termes d’utilisation de la musique pour créer des ambiances et souligner les actions.

Par exemple la musique Soul/Funk qui règne sans partage sur la Blaxploitation et se retrouve dans des grandes productions hollywoodiennes de la période comme Bullit, ou Mc Q, ainsi que dans nombre de séries télévisées comme Les rues de San-Francisco, Mannix, Cannon, Hawaï Police d’état, Sergent Pepper, Starsky et Hutch etc., a eu une influence indéniable et un rayonnement international. On peut écouter pour s’en persuader des chansons de Gainsbourg comme l’anamour ou la décadanse, la chanson de Brel les F, ou encore des artistes brésiliennes comme Elsa Soares, Gal Costa ou Tania Maria parmi tant d’autres.

Les innovations esthétiques de Melvin Van Peebles ont certainement leur part dans les ambiances lumineuses et dans le montage des séries que je viens de citer, je pense notamment au générique de Mannix.

Qu’est ce donc qu’une culture noire populaire, ici on aura compris qu’il s’agit essentiellement des Etats-Unis, et peut-on aisément la distinguer de la culture américaine.

Sans le 369ème régiment d’infanterie composé de soldats noirs (comme le 370ème, le 371ème et le 372ème) et en particulier l’orchestre formé au sein de ce régiment par le Lieutenant James ‘Big Jim’ Europe, le Jazz ne serait pas arrivé en Europe. Leur passage de Paris à Berlin lors de la première guerre mondiale a fait éclore cette musique américaine sur le vieux continent.

Le jazz est aujourd’hui vu comme une des grandes musiques de l’Amérique, mais était ce le cas quand King Oliver, Papa Joe Jones ou d’autres la jouait dans les petits cabarets de la Louisiane.

En même temps peut-on exclure l’Afrique de tout apport à une culture noire populaire ? Pour rester sur l’exemple des Etats-Unis pensons à la fameuse blue note qui n’est pas issue des gammes tonales européennes. On peut aussi penser au rap, que certains comparent à l’art du griot mais qu’on pourrait faire remonter plus loin.

Du Jazz au Rap chaque fois qu’une culture noire populaire a éclot elle a fait florès.

Donc comment doit-on entendre une culture noire populaire ?

Doit on la définir au moment où elle s’élabore dans un noyau restreint et isolé de population ou au moment où elle est partagée à grande échelle au point qu’on a l’impression qu’on veut en déposséder les personnes qui l’ont élaborée, ou en tout cas rendre l’appropriation de cette culture par d’autres bien plus prestigieuse que son élaboration : Louis-Moreau Gottschalk, Bix Beiderbecke, Glen Miller, Bill Haley, Gene Vincent, Elvis Presley et ses avatars (Dick Rivers, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday), Tom Jones, Johnny Clegg, Vanilla Ice, Eminem etc.

Ainsi les Skinheads jamaïcains partageaient leur musique et leur style avec les jeunes anglais des classes populaires, avant que ces derniers ne les supplantent complètement et que le mouvement ne prenne les accents nationalistes et racistes déplorables qui le définissent entièrement aujourd’hui de l’Angleterre à la Russie.

On pourrait également évoquer la Northern Soul, ces singles de musique Soul, jouée par un artiste ou un groupe afro-américain tombé dans l’oubli après, qui ont inondé l’Angleterre dans les années 50-60, et dont Sting et Rod Stewart ont tiré grand profit.

L’exemple de la Black Rock Coalition est aussi frappant. Dans les années 90 les majors américaines refusaient de signer des groupes de rock noirs parce que commercialement cette musique devait rester blanche, ce qui a forcé les groupes noirs jouant du rock à se réunir et former cette coalition, d’abord à New York en 1985 puis en Californie en 1989, sous l’égide du guitariste Vernon Reid, de l’écrivain Greg Tate et de la manager Konda Mason, grâce à laquelle ils ont pu émerger. Le plus connu des groupes issus de ce collectif est Living Colour. Une telle politique a aussi fait que Lenny Kravitz, connu à l’époque sous le nom de Roméo Blue, s’est exilé en Europe pour se faire signer parce qu’aux Etats-Unis, pour les majors, sa musique était trop proche du Rock et qu’il ne pouvait pas être classé dans le R’n’B.

On comprend ainsi que dans la culture, lorsqu’elle devient commercialisée et commercialisable, les enjeux la concernant ne relèvent plus uniquement du culturel mais également du politique et de l’économique qui en dernier ressort ne se lisent séparément qu’en de très rares occasions.

Il faut rappeler que Berry Gordy à fonder la Motown pour que les Noirs puissent passer leur musique à la Radio sans qu’un groupe blanc ne se l’approprie. Chuck Berry doit encore se rappeler aujourd’hui qu’au moment où il protestait pour le vol d’une de ses chansons par les Beach Boys, il s’est retrouvé emprisonné pour relation sexuelle avec une mineure de 17 ans.

On pourrait aussi évoquer Chess records dont le manager sous-payait les artistes, ils avaient une Cadillac et quelque menu monnaie en guise de royalties,  ce qui poussera Muddy Waters, après s’être fait exploiter durant quelques années, à intenter un procès au label pour obtenir gain de cause et quelques millions en réparation. C’est cette histoire que raconte le film Cadillac Records.

Mais le cas de loin le plus révoltant est celui de Solomon Linda compositeur de la chanson Mbube, qu’un américain s’attribuera et fera mondialement connaître sous le titre The Lion Sleeps Tonight (Le lion est mort ce soir). Une chanson qui fera le tour du monde et sera peut-être la plus vendue. Une chanson pour laquelle Solomon Linda n’aura reçu en guise de salaire, le jour où il l’a enregistrée, dans son pays l’Afrique du Sud, pour la maison de disque américaine Dekka, que le bon de restauration qui était donné aux musiciens et sur lequel figurait en lettres minuscules qu’il faisait office de paye et de cession de tous droits sur leurs compositions. Une des filles de Solomon Linda est décédée du Sida il y à quelques années parce qu’elle n’avait pas assez d’argent pour acheter les médicaments de la trithérapie.

Qu’est ce qu’une culture noire populaire ?

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