C’est un septuagénaire qui se porte bien. Sa famille, reconnaissante, salue en ce film un précurseur du septième art, un défricheur pour des enfants et petits-enfants qui aujourd’hui réalisateurs ou comédiens, observent toujours d’une façon ou d’une autre « La règle du jeu ».
Il suffit de se plonger avec délice dans les nombreux bonus pour comprendre l’importance de ce film et de son auteur, Jean Renoir. Selon le British Film Institute, c’est le troisième meilleur film de tous les temps.
Les rides sont visibles, mais le visage est toujours aussi expressif. Que ce soit dans la narration , inhabituelle pour l’époque ( 1939 ), le port des comédiens , déhanchés comme dans un burlesque américain , ou la mise en scène qui utilise la profondeur de champ , pour donner à l’action , un relief jusqu’alors insoupçonné.
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Le tout conjugué à une histoire qui entre marivaudage et vaudeville donne de l’aristocratie de l’avant-guerre une image peu flatteuse. Dans un château de Sologne , après une chasse aussi carnassière que meurtrière , cette bonne société joue à qui troussera qui ,trompera qui … La pirouette du scénario est que le petit personnel attaché à ces messieurs-dames, donne une représentation identique . L’effet miroir qui s’en suit est absolument prodigieux. Quand, devant le bazar indescriptible qui se déroule dans les couloirs du château le comte Robert de la Cheyniest (Marcel Dalio) demande au majordome (Eddy Debray), « de mettre fin à ce cirque », celui-ci lui demande « mais lequel ? » .
Une réplique, parmi d’autres, épinglée à de savoureux portraits. Ils sont nombreux et tous mériteraient un aparté, tant leur géniteur a su leur conférer une âme, un regard, un esprit.
Jean Renoir, Roland Toutain, Nora Grégor
Jean Renoir ne choisit pas l’un ou l’autre ; du maître de cérémonie au braconnier, de l’aristocrate général à la camériste, il accorde une égale importance. La fresque est impressionnante et le charivari tout aussi joyeux.
On parlerait aujourd’hui d’un film choral, ce qui ne signifie pas grand-chose au regard d’une œuvre qui dispense dans la frivolité ambiante, un vent de panique encore léger, un soupçon d’inquiétude quant à l’avenir du monde. « Nous dansons sur un volcan » dit le cinéaste, ignorant que quelque part en Pologne, l’éruption a déjà commencé.
LES BONUS
Jean Renoir présente « La règle du jeu »
Face à la caméra, le cinéaste évoque la sortie calamiteuse de son film. « Les injures, les sifflets, me déchiraient le cœur » reconnaît-il dans ce beau document. « Je n’avais aucunement l’idée d’épater le bourgeois, je voulais faire un film agréable, mais en même temps une critique d’une société que je considère toujours comme pourrie ».Il s’inspire de Musset avec « Les caprices de Marianne ». « De très loin, ce fut mon tremplin.Je voulais échapper au naturalisme, et retrouver Marivaux, Beaumarchais, Molière, pour en prendre de la graine ».
-Il était une fois… « La Règle du jeu » par François Truffaut 52 mn
Dans ce documentaire , de nombreuses archives font revivre Jean Renoir. L’occasion d’un portrait très détaillé du cinéaste, dans lequel celui de son père ne peut être occulté. « Je le voyais peindre tous les jours, et je savais que je ne serais jamais peintre. J’étais trop respectueux ». Il fut pourtant bien content de vendre les toiles de son célèbre papa afin d’éponger ses dettes successives aux échecs artistiques.
Un portrait toujours resitué dans le contexte historique (l’invasion nazie, son passage au parti communiste,ses écrits antisémites avant de partir pour les Etats-Unis…) « Je pense qu’il s’est fourvoyé plusieurs fois sur le plan politique » dit son fils Jacques, « mais jamais sur le plan du cœur c’était un profond humaniste. » Tout le monde s’accorde là-dessus
Leslie Caron dit qu’il « aimait les grands cabots dont il faisait partie, ceux qui faisaient des excès ».Les historiens du cinéma Olivier Curchod et Claude Gauteur ainsi que Bertrand Tavernier et Olivier Assayas soulignent toute la modernité du film. Ce dernier qui voit en Renoir un grand bourgeois, dit que c’est « un film qu’il fallait faire à ce moment là, et après, le moment historique a disparu .Son génie a été de saisir dans son époque quelque chose que personne d’autre ne voyait »
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-Jean Renoir, le patron : La Règle et l’exception. Extrait de Cinéastes de notre temps, réalisé par Jacques Rivette en 1966 (49 mn)
Renoir revient sur le découpage du film, la profondeur de champs, les personnages, l’improvisation, le génie et l’implication des comédiens… « Mais je me laissais souvent prendre plus par l’ambiance que par les dialogues et les personnages .»Un moment fort de ce document d’archives exceptionnel est le retour de Jean Renoir 27 ans plus tard – au château de la Colinière, en compagnie de Marcel Dalio (le marquis de La Chesnaye).Celui-ci s’étonne notamment que le cinéaste n’ait pas utilisé toute l’architecture du château .La réponse est une leçon de cinéma.
-Olivier Curchod présente « La Règle du jeu ».
L’historien la replace dans un contexte difficile pour Renoir « dont on se méfiait. Il ne connaissait que des échecs, mais à partir de « La grande illusion » on voit qu’il peut rapporter de l’argent ». On parle alors du travail de préparation ,des difficiles conditions de tournage, de l’échec du film en salles, et des coupes que Renoir apportera…
- »Ma » Règle du jeu. Par N.T Binh, 16 mn
Un montage d’entretiens dans lequel on rappelle que beaucoup sont passés à côté du film la première fois. Claude Chabrol y souligne la justesse des rapports des gens, car « Renoir n’est intéressé que par la nature humaine. C’est un film politique comme Beaumarchais peut l’être ».Noémie Lvovsky souligne elle aussi l’amour qu’il avait pour tous ses personnages « il ne les mettait jamais dos à dos et même le plus crétin, il l’aime bien ».
En bon technicien le chef opérateur Eduardo Serra remarque l’admirable travail sur « la profondeur de champ, et cette façon de l’utiliser pour mener son action ». Les scènes du grand couloir du château sont à ce titre effectivement exemplaires. Et rares pour l’époque !
Image par Image.
Documentaire de Pierre-Oscar Lévy, textes Jean Douchet 42 mn.
Ce film tourné en 1939 en dehors de l’actualité, dépeint la société qui provoque cette actualité : le tumulte de la guerre mondiale annoncée. Les auteurs le reprennent par séquence, et en expliquent toutes les subtilités.C’est une leçon de cinéma, un décryptage, très intéressant.
La règle et l’exception
A part Jean Renoir et Carette (le braconnier), tous les comédiens prévus au début ne seront pas de la distribution. Simone Simon, qui se désiste deux semaines avant le tournage est remplacée par Nora Grégor ,ce qui n’est pas du goût de tout le monde. A la veille de la seconde guerre mondiale, son accent autrichien fait grise mine. Renoir lui donne une scène savoureuse, façon Marie Antoinette, à qui l’on doit tous les maux.
Prix de vente public conseillé : 20€ le Blu-ray