© Catherine Cabrol
Nous vous présentions ici il y a quelques jours notre chronique sur La femme au miroir, nouveau roman d’Eric-Emmanuel Schmitt.
Quel ne fut pas mon plaisir, lorsque l’auteur a accepté ma demande d’interview, et quel bonheur d’avoir pu discuter en toute simplicité avec lui autour d’un café. Vous pouvez découvrir ci-dessous l’intégralité de notre entretien qui vous fera un peu entrer dans la manière de travailler et de réfléchir du romancier.
Bonne lecture.
Bonjour Eric-Emmanuel,
Nous nous rencontrons pour parler de votre dernier roman La femme au miroir. Pour commencer, pouvez-vous nous dire comment vous est venue l’idée de cette histoire ?
C’est un livre que je porte en moi depuis 14/15 ans, et pendant cette période, beaucoup de choses que j’ai vécues m’ont nourri et je pense que ce que j’ai écrit d’autres entre temps m’a préparé à ce livre. C’est-à-dire, à la fois le simple détail acquis dans la nouvelle et puis la possibilité d’avoir le souffle de faire ça. Moi, il faut que je sois assuré d’avoir du souffle pour me lancer dans une fresque comme ça. Dans la première idée j’opposais simplement Anne de Bruges et Anny, la contemporaine et puis je me suis rendu compte que ça allait être manichéen, et que mon but n’était pas dire telle époque est meilleur qu’une autre. Et donc il fallait mettre une 3ème époque et c’est là qu’est arrivé le personnage que j’adore d’Anna, et à partir de là je me suis dit que les miroirs allaient pouvoir jouer véritablement. Nous allions avoir 3 femmes avec 3 époques qui proposent chacune un alphabet aux femmes et aux hommes pour se comprendre. Pour la renaissance c’est la théologie, le 19ème/20ème siècle, c’est la psychanalyse Freudienne et aujourd’hui, c’est la chimie. Dès que l’on a une émotion aujourd’hui soit on la supprime avec un médicament, soit on l’intensifie avec une drogue.
Entre la réflexion et l’écriture, combien de temps vous a pris ce roman ?
C’est très passif le phénomène de création, c’est-à-dire, ça se passe et ça se construit en moi, c’est comme une gestation, je pense. J’ai l’impression d’être juste le réceptacle (rires) et puis un jour je sens que les personnages existent parfaitement et qu’ils ont besoin de me parler. Je ne créée pas mes personnages, mais je les écoute, si on me demandait « comment invente-t-on des personnages ? » je dirais que je ne sais pas.
J’écris toujours avec le livre à peu près comme une nébuleuse dans ma tête, je ne vais pas découvrir le livre en l’écrivant, il est là. Racine disait « Ma tragédie est faite, je n’ai plus qu’à l’écrire », mais en même temps j’ai plein de choses à découvrir dans la rédaction et j’écris avec un sentiment d’urgence. Celui-ci m’a pris 6 mois d’écriture du matin au soir. Le matin est consacré à la relecture de tout ce qui a déjà été écrit, et l’après-midi et le soir c’est vraiment la création. Chaque page a été relue au moins 80 fois, je traque, je ne suis pas devenu meilleur écrivain que quand j’étais jeune, mais je suis devenu un meilleur correcteur, je suis devenu un chien (rires).
Ces 3 personnages féminins, vous les avez créés de toute pièce, ou vous êtes-vous inspiré de femmes actuelles ?
C’est un livre qui n’a pas de clef mais qui a un trousseau (rires). Oui je m’inspire de femmes que je connais mais je fantasme aussi beaucoup. Je pense que je n’ai jamais vraiment décrit une personne que je connais, mon imaginaire prend vite le dessus sur la connaissance.
Anny, Anne et Hanna ont-elles évolué au fur et à mesure de l’écriture ?
Elles ont évolué très normalement selon ce qu’elles m’avaient déjà dit. Elles ne m’ont pas fait de surprise, mais il y a en a une qui m’a fait peur, c’est Anna. Elle commence sur un ton tellement léger et banal que je me suis dit « Merde comment va-t-elle réussir à s’intéresser à la psychanalyse ? » Et elle y est très bien arrivée mais elle m’a fait peur, d’autant plus qu’à elle, j’avais donné la voix, car c’est elle qui parle à travers les lettres donc je savais que je n’allais pas pouvoir la manœuvrer.
Nous suivons les 3 histoires de ces femmes en parallèle d’un chapitre à l’autre durant tout le livre, L’avez-vous écrit de cette manière ?
Je l’ai écrit comme le cerveau du lecteur le découvre, vraiment dans l’ordre où vous le lisez parce que je savais que le cerveau allait enregistrer des détails qu’il reporterait sur la femme suivante, soit pour penser que c’est la même chose, soit voir la nuance que je veux faire passer. Cette écriture m’a fait « perdre beaucoup de temps » car ça aurait été plus facile de faire comme au cinéma, on tourne tout une époque avec le même décor. Et en plus comme l’écriture n’est pas la même pour ces 3 femmes, à chaque fois que je terminais un chapitre, j’avais une difficile réadaptation car il fallait que je change de langue et de vocabulaire, Quand Anny parle de « pétasse », il y en avait déjà en 1530 à l’époque d’Anne de Bruges mais on ne les appelait pas comme ça (rires). Mais l’écrire de cette manière fait qu’il n’y a pas de triche, ce n’est pas de « l’éditing » ou un montage comme au cinéma.
C’est facile justement de changer de vocabulaire et de style pour chaque héroïne ?
Comme je viens du théâtre, ce n’est pas trop compliqué, car je suis habitué à faire parler chacun à sa façon et malgré tout dans mon style (rires).
Vous êtes-vous senti durant l’écriture, ou vous sentez-vous, plus proche de l’une de ces 3 femmes ?
Oui, je n’ai pas la même relation avec chacune. Je me trouve très proche d’Anna, à cause de son côté intellectuel, et elle a aussi une légèreté et une attitude non-dramatique qui me plait. J’ai un rapport d’admiration avec Anne qui se méfie tellement des mots et essaye de décrire l’indicible, et un écrivain c’est ça aussi et en plus elle a un courage incroyable. Elle m’a permis aussi de dire ce que je pense sur la mort, lorsqu’elle marche vers le bucher et qu’elle imagine sa vie d’après, c’est ce que je pense. Anny, c’est encore un autre rapport, j’ai une sympathie avec sa détresse et son côté cassé. Le fait que pour elle, être adulte ça veut dire boire, fumer, coucher, se droguer, cette fausse naïveté forcément je l’ai connue (rires) et je la trouve touchante. Mais moi c’est vraiment Anna, les gens qui me connaissent me le disent tout de suite.
Anny est une comédienne à Hollywood, adaptez ce livre en film, comme vous l’avez déjà fait, c’est une idée que vous avez en tête ?
Tout le monde m’en parle donc ça doit être une bonne idée. Le cinéma est passé dans ma vie et sans doute que l’écriture s’en ressent, le réel est plus présent. Oui je trouve que ça ferait un bon film avec cette idée qu’éventuellement ce soit la même actrice qui fasse les 3 rôles aux 3 époques, ça forcerait même le spectateur de cinéma à réfléchir ce qu’il ne fait pas spontanément (rires). Imaginez Natalie Portman, elle pourrait très bien faire les 3 personnages et ça pourrait être un rôle à star (rires).
Nous avons chroniqué Quand je pense que Beethoven est mort, votre précédent roman, il y a à peine 1 an. Ecrire c’est pour vous un réel besoin ?
Ah oui. D’abord c’est un besoin et aussi un plaisir, je ne suis pas quelqu’un qui souffre quand il écrit, j’éprouve au contraire une intense jubilation à être ces personnages. C’est très pénible pour mon entourage parce que je suis complétement absorbé par un livre, je fais semblant de vivre. Je le fais avec de la bonne volonté, je souris, je suis gentil, je fais semblant d’écouter mais je suis ailleurs, cet ailleurs que les autres ne découvriront que quelques mois après quand ils liront le livre. Et j’ai écrit aussi beaucoup plus de choses que cela durant cette année que vous découvrirez plus tard. Je ne suis pas quelqu’un qui écrit tous les jours, j’écris que quelques semaines par an, mais j’écris quand c’est prêt et là il y a pas mal de choses qui sont prêtes (rires).
Donc vous, tout est dans votre tête et non pas dans vos tiroirs, comme votre consœur Amélie Nothomb ?
Oui c’est vrai qu’Amélie est presque un des rares cas graphomane réellement écrivain, mais d’abord graphomane (rires). Elle a besoin d’écrire tous les jours, on a déjà fait des voyages ensemble, elle se levait à 4h du matin pour écrire et elle arrivait à 9h son écriture était déjà faite. C’est très incroyable, moi je n’ai pas le même rapport avec l’écriture, par contre je suis un rêveur compulsif, j’ai besoin tous les jours d’avoir un moment de paix ou de marche pour pouvoir rêver, sinon j’étouffe.
Et le prochain livre, il est déjà commencé ?
Ah même fini, c’est décourageant (rires). Il sortira au printemps prochain. Et encore je me retiens, c’est pour ça que je fais du cinéma et autre, pour pouvoir faire quelque chose qui me plait sans avoir à me dire que ça va faire trop de livres à publier. Je ne fais pas des posthumes contrairement à Amélie (rires) bien qu’elles soient capables de les détruire avant car elle l’a dit et elle fait toujours ce qu’elle dit.
Ce soir, vous serez en dédicace en Belgique, c’est important pour vous la rencontre avec vos lecteurs ?
Oui j’ai besoin de vérifier comment les gens reçoivent ce que je leur donne. Pas que vérifier mais vraiment apprendre, d’abord vérifier que c’est bien ce que j’ai voulu donner qui est reçu, et après apprendre ce le public ajoute en plus dans leur sensibilité. J’étais d’abord auteur de théâtre et j’allais dans la salle regarder la réaction du public donc n’ayant pas dans un roman cette caisse de résonnance du public j’ai besoin d’aller à la rencontre des lecteurs. Et c’est aussi une manière de soutenir les libraires et cette année je vais en faire encore plus que les autres années. Les libraires s’inquiètent de la concurrence du livre numérique, de l’achat par internet et pour moi c’est important de soutenir les librairies. Quand des auteurs avec un large public vont dans leurs librairies, ça leur permet de raisonner de façon différente.
Le Mediateaseur remercie une fois de plus Eric-Emmanuel Schmitt pour sa disponibilité, sa sympathie et sa simplicité qui m’ont vite mis à l’aise. J’espère que cette interview vous aura été aussi agréable à lire que pour moi à faire.
La Femme au miroir aux éditions Albin Michel est toujours disponible en magasin.