Après avoir été ces dernières années sous le charme d’Exposition partie 5 - que ce soit sur les planchers de danse de Cold War Nightlife ou dans nos écouteurs -, nous attendions avec impatience la parution annoncée d’une compilation de Philippe Laurent sur l’étiquette new-yorkaise Minimal Wave. C’est maintenant chose faite depuis la fin juin : l’album Hot Bip offre un premier aperçu de la création de ce musicien français, couvrant la période 1979-1988.
D’un éparpillement de cassettes faites maison, les neuf pistes choisies se transportent ici sur vinyle, remastérisées mais encore exhalant une indéfinissable qualité DIY : mélodies et bruits, rythmes et nappes sonores s’entrecroisent dans une proposition foncièrement éclectique. On passe des basses pulsées disco aux sons industriels, à l’orgue ou aux envolées harmoniques façon Kraftwerk, souvent au sein d’une même piste. La recette fonctionne et, bien que restant très accessible, permet à l’ensemble de s’éloigner quelque peu des sentiers battus, notamment en raison du caractère instrumental des oeuvres – d’avantage des “compositions” que des chansons. Nous nous sommes entretenus avec l’artiste.
Contrairement à plusieurs rééditions récentes de vinyles et cassettes oubliés de la décennie 1980, Hot Bip est essentiellement composé de matériel inédit. Comment avez-vous été approché par Minimal Wave pour ce projet? Cette collaboration a-t-elle soulevé des défis particuliers?
C’est une longue histoire. Veronica Vasicka du label MW est une véritable exploratrice. Elle m’avait contacté il y a déjà plusieurs années mais, dans les secondes qui avait suivi la réception de son premier e-mail, le disque dur de mon PC est mort prématurément et j’ai perdu son nom, son adresse e-mail et le nom de son label. Ensuite, infatigable, Veronica a finalement retrouvé ma trace et nous avons commencé à travailler sur le projet Hot-Bip.
Le défi a été de retrouver mes morceaux des années 80. Certaines versions originales avaient disparu ou se trouvent sur des bandes magnétiques 4 pistes dont je ne possède plus le magnétophone.
Vos pièces sont essentiellement instrumentales, et d’une facture formelle parfois presque classique. Avez-vous reçu une formation musicale académique?
Je suis autodidacte mais j’ai passé beaucoup de temps à déchiffrer des partitions de Bach, Bartok, Mozart, Wagner et autres, pour comprendre leur travail.
En ce qui concerne l’aspect formel de mes morceaux, à mon avis cela est dû au fait que c’est une musique écrite et non improvisée. Les pièces avec voix sonnent aussi comme des musiques instrumentales car, quand j’ajoute des paroles, la voix est conçue comme un instrument parmi d’autres. Même dans les morceaux les plus minimalistes, il ne s’agit pas d’un texte accompagné d’un arrangement.
Ces deux traits musicaux font évidemment penser à Jarre ou Kraftwerk. Avez-vous d’autres influences plus obscures que vous souhaiteriez partager avec nos lecteurs?
Aucune influence à chercher du côté de J.M. Jarre. Mon approche est différente. Il faudrait plutôt regarder en effet du côté de Man Machine de Kraftwerk, mais aussi du côté du Mandarin merveilleux de Béla Bartók ou de Machine danse de Pierre Henry, je crois. Il m’est difficile de définir mes influences car j’ai toujours essayé de me détacher des mouvances afin d’avoir une démarche originale.
La musique qu’on entend sur Hot-Bip couvre la période 1979-1988. Vous vous êtes par la suite éloigné quelque peu de la composition pour devenir d’avantage un artiste multidisciplinaire. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours, et – surtout – sur vos autres projets actuels?
En réalité, je pense que je ne me suis jamais vraiment éloigné de la composition musicale. Ma démarche artistique multidisciplinaire est globale, mes réalisations visuelles et sonores sont liées. Si on a l’impression qu’à certaines périodes je me suis éloigné de la musique c’est certainement parce que j’ai toujours eu beaucoup de difficultés à trouver des labels pour produire mes enregistrements. La majorité des labels, même indépendants, se spécialisent dans une «catégorie» musicale et ne sont donc pas attirés par les compositions atypiques. Actuellement, je travaille sur des projets toujours aussi éclectiques.
La presse se plait à parler de la renaissance d’une “scène” synthétique, les étiquettes underground et soirées spécialisées se multiplient. Comment voyez-vous tout cela du haut de votre expérience de l’époque?
Je suis ravi et je me sens totalement solidaire des gens qui organisent ces soirées à contre-courant. J’ai l’impression que les choses reprennent là où elles s’étaient arrêtées plusieurs décennies avant. J’espère aussi que les musiciens de cette scène électronique et expérimentale actuelle ne rencontreront pas la même hostilité et la même incompréhension, de la part de la presse musicale française notamment, que nous avons subi il y a une vingtaine d’années.
Hot-Bip est disponible sur vinyle et téléchargement auprès de Minimal Wave; nous vous en proposons un extrait audio.
philippelaurent-systemeclairPhilippe Laurent – Système Clair