Alors dans la salle de Redline, le film d’animation japonaise de la sélection, on se fait signe, on se sert la paluche, on discute avec le mec assis derrière soi… On reconnaît des têtes régulièrement aperçues à la Cinémathèque, et dans d’autres festivals parisiens. On se sent entre amis à l’Étrange. Tant et si bien que le présentateur du jour nous encourage à vibrer au rythme de Redline, à applaudir et à s’extasier ouvertement devant le spectacle… Il ne faut pas attendre cela de moi, qui en dehors des rires aime peu les démonstrations de vie devant un film… mais finalement, les autres spectateurs non plus n’auront pas abuser du démonstratif.
Le cinéaste Takeshi Koike, dont c’est là le premier long, nous propulse dans un univers futuriste où l’attraction numéro un est une course automobile appelée Redline. De toutes les planètes de la galaxie, les meilleurs pilotes s’affrontent pour décrocher leur ticket dans cette course qui revient tous les cinq ans. Cette année, elle se disputera sur Roboworld, planète sur laquelle le président refuse catégoriquement que cette course endiablée ait lieu. Les concurrents devront non seulement s’affronter les uns les autres – et tous les coups sont permis – mais ils devront également échapper aux autorités de Roboworld.
Après m’être ressourcé, je suis retourné dans l’antre de l’Étrange à 22h pour le film que j’attendais peut-être le plus du festival, Kill List. Un film dont je n’avais pourtant pas entendu parler il y a encore un mois. C’est lors de mon voyage en Irlande que j’ai découvert l’existence de ce film et qu’il s’est immédiatement planté parmi mes plus attendus du moment, tant les critiques lues ici et là en zigzag y allaient dans l’éloge. Lire ces avis en zigzag m’a permis de ne pas trop en savoir, et lorsqu’en rentrant à Paris et en découvrant la sélection de L’Étrange Festival 2011, j’y ai vu le titre du film de Ben Wheatley, mon sang n’a fait qu’un tour et le film s’est immédiatement inscrit à mon agenda.
Contre toute attente, le film commence comme un drame conjugal. Dans un petit patelin anglais, un couple se dispute. Un couple tout ce qu’il y a de plus banal à vue d’œil, avec une maison, un garçon de sept ans, une soirée avec des amis à préparer. Des dettes, un compte en banque vide ou presque. Lui semble au chômage, au grand désespoir de madame, qui lui reproche incessamment ce fait. En voyant cet époux qui semble un peu à côté de la plaque, difficile de l’imaginer en tueur à gages. C’est pourtant bien lui qui se laissera persuader, acculé, de ressortir son arme du garage et d’aller rencontrer un client avec son partenaire de toujours pour récupérer une nouvelle « kill list ». Trois noms. Trois personnes à tuer - dans le pays en plus, alors que leur dernière mission huit mois plus tôt en Ukraine s’était mal passée. Un job facile, en fin de compte. Pourtant, un job qui sera le début d’une descente aux enfers.
Difficile, en regardant le premier acte de Kill List, de deviner qu’il nous entraînera là où il nous entraîne finalement. Ce film qui commence dans le drame social et maritale, bifurque vers le thriller et se poursuit dans… l’énigmatique. C’est un film sec, très sec. Un film gris, qui se pose dans une atmosphère poisseuse et instaure rapidement un étrange climat entre malaise et fascination. Le cadre de cette Angleterre frappée par la crise désarçonne, par son réalisme voulu alors même que le film glisse peu à peu dans un univers sombre à la limite du fantastique. A mesure que le film avance, les doutes s’accumulent, et l’on avance avec hésitation et lenteur vers le terrible. Le drame conjugal, étrangement, ne s’éloigne pourtant jamais vraiment, le cadre social demeure, et une inéluctabilité semble se mettre en place.