En anglais, on appelle cela le « chicken game », le
jeu du poulet. Deux voitures s'élancent l'une face à l'autre et chacune espère que l'autre déviera de sa route avant le choc final et définitif.
Fidèle à sa habitude bravache, Nicolas Sarkozy a voulu jouer au jeu du poulet avec la mal-nommée « règle d'or ». Le
16 août dernier, il est allé jusqu'à convaincre Angela Merkel qu'il fallait la proposer aux 17 Etats membres de la zone euro. En France, il l'a fait voter par ses députés-godillots, dans une
forme bien dégradée et tardive.
Et pourtant, il est très probable qu'il se dégonfle.
Comme souvent.
Le piège ne prend pasSarkozy pensait tendre un piège politique à ses
adversaires socialistes. Mais l'échec semble patent. Le contexte n'était déjà pas favorable.
Certains, tel François Hollande ou Martine Aubry, ont déjà fait de la lutte contre les déficits l'un de leurs chevaux de bataille. Sarkozy était aussi bien mal placé pour se parer d'une soudaine
vertu budgétaire, comme le rappelle si régulièrement la Cour des Comptes depuis 2008. Enfin, la règle d'or proposée par le Monarque était bien mal ficelée. En France, le dispositif voté par l'UMP en juillet dernier et que Nicolas Sarkozy veut intégrer dans la Constitution est
finalement bien limité: il n'assure pas l'obligation d'équilibre budgétaire, et ne s'appliquerait qu'en 2013. A gauche, il fut facile de dénoncer rapidement l'imposture.
A Bruxelles, le président de l'Union Européenne,
Herman Van Rompuy, a expliqué vendredi que « les gouvernements n'ont pas besoin » d'une telle règle
constitutionnelle pour réduire les déficits sans attendre. « En fait, les gouvernements n'ont pas besoin de cette règle, ils peuvent le faire sans une disposition constitutionnelle »
a-t-il déclaré, tandis que l'Espagne adoptait la sienne, par 316 voix contre 5 (ce qui n'a pas
empêché la bourse de Madrid de chuter de 3%, comme ses collègues européennes, à l'annonce de mauvais résultats ... américains).
De quoi parle-on ? La règle d'or est une « promesse de papier », une « promesse d'ivrogne », pour reprendre l'expression de l'économiste Philippe Simonot dans une tribune publiée par
le Monde. « Quelle est la légitimité du juge pour censurer une loi de finance ? » s'interrogeait un magistrat. Un sondage récent démontrait le scepticisme des Français interrogés. Il y a plusieurs formules, d'un pays à
l'autre, d'un parti à l'autre. Mais en France, la perspective d'un vote négatif fait autant peur que celle d'un krach boursier.
Ce mardi 31 août, le président UMP de l'Assemblée nationale a en effet déconseillé de convoquer le Congrès à Versailles.
Bertrand Accoyer craint l'échec et la nouvelle déstabilisation de l'euro qui s'en suivrait en cas de vote négatif. Patrick Devedjian évoqua un « suicide politique ». Jean-François Copé,
vendredi, disait entendre l'argument. D'autant que les élections
sénatoriales partielles sont pour bientôt (le 25 septembre), avec la menace d'une perte de majorité dans la Haute Assemblée.
Nicolas Sarkozy n'est pas téméraire.
C'est l'une de ses traits de caractère, et celui qui le fera très certainement renoncé à avancer plus en avant. Fort avec les
faibles, faible avec les forts, il est souvent comme cela, Nicolas. Observez donc comment il est parvenu, en 4 ans et demi de « présidence » à éviter d'affronter les questions qui
fâchent face à des journalistes. Rappelez-vous aussi la séquence des retraites. Depuis
l'adoption de sa réforme des retraites en novembre, il n'a cessé de répéter qu'il n'avait fait que son devoir malgré l'impopularité de la mesure. Cet éloge du courage était presque
drôle. Primo, le Monarque devait concéder quelques biscuits aux marchés financiers, après 3 années de gabegie budgétaire et autres inutiles cadeaux fiscaux. Ensuite, Sarkozy s'est littéralement
planqué du « débat » sur les retraites avant l'adoption de la réforme. Le calendrier lui-même fut une gigantesque imposture. Enfin, quel risque y-avait-il à ce qu'un Parlement
ultra-majoritairement à droite repousse le projet de loi ?
En que dire de ses autres « réformes » ? La fin des régimes spéciaux ? Quelle blague ! Sarkozy a dépensé en plus en
compensations financières que la réforme de 2007 n'économisait en rallongeant les périodes de cotisation. Le service minimum ? Encore plus drôle. Les contraintes imposées aux grévistes sont
(heureusement) symboliques. La chasse aux niches fiscales ? Elle fut modeste (10 milliards d'euros l'an dernier, 12 autres cette année, sur un total de 176 milliards d'euros par an !) et sous la contrainte !
Au final, Nicolas Sarkozy a joué avec le feu, avec cette fumeuse affaire de règle d'or. Il s'était gardé une porte de sortie
qu'il pensait honorable en cas de rejet par le Congrès. Sa proposition commune avec Merkel reportait à ... l'été 2012 l'inscription constitutionnelle de la fameuse règle: «Si un consensus est
possible, à ce moment-là, je provoquerai à l'automne la réunion du Congrès. Sinon, les Français seront juges lors de l'élection présidentielle des forces politiques qui souhaitent le retour à
l'équilibre budgétaire et de celles qui ne le souhaitent pas.»
En avril 2007, alors que les signes d'un ralentissement économique sur fond de flambée des prix de l'énergie se faisaient
plus visibles, le candidat Sarkozy promettait quelques 68 milliards d'euros de réduction des prélèvements obligatoires sur 5 ans. A l'époque, le déficit budgétaire dépassait déjà les 40 milliards
d'euros, et la dette publique 1250 milliards.
Qui dit mieux ?
Sarkofrance