Voici un roman que je ne saurais oubliée, tant il a laissé son empreinte sur moi. Aux premières pages pourtant, et mêmes chapitres, je n’aurais pas su prédire cette marque déposée sur ma peau.
Les personnages principaux sont de vieilles personnes, des délinquants cachés dans le fond des bois. Si on arrive à les surprendre dans cette pose de fuyards qui se débrouillent avec les moyens du bord, c’est la faute à l’œil curieux d’une photographe et à sa dent vorace du fait historique le « Grand feu de Matheson » qui a ravagé le Nord de l’Ontario au début du XXe siècle.
Les trois gaillards se sont construits chacun une cabane, vivent de solidarité et de quelque argent retiré d’une plantation de cannabis tenue par leurs voisins, Steve et Bruno. Ces derniers, principalement Steve tiennent un « campement restaurant » oublié par son propriétaire.
De la solidarité, il en faut pour échapper à la loi, et vivre en forêt sans statut de citoyen. Les vieillards de 85 ans et plus, même si dotés d’un caractère fort et typé, ne seraient pas mis autant en valeur, n’aurait été de Marie-Desneiges qui finit par aboutir dans ce décor rustre. Qu’est-ce qu’une femme octogénaire vient faire dans cette galère ? Surtout une femme qui a été internée pendant 66 ans pour cause officielle d’avoir l’esprit fêlé. On découvrira, avec un immense plaisir, sous les yeux de ces hommes pas si brutes qu’ils en ont l’air, qu’elle n’a qu’un seul tort : être différente. Comme eux finalement qui ont choisi de s’enfermer dans une vie à l’abri des regards. Une vie où la liberté de mourir est contenue dans une petite boîte de poudre « magique ».
Si une personne m’avait résumé cette histoire, comme j’ai tenté de le faire, je ne sais pas si j’aurais été attirée. C’est pour dire, encore une fois, que dans les histoires écrites, c’est la manière de raconter qui fait toute la différence. Le sujet ne me semblait pas si attrayant, mais il l’est devenu avec l’habileté de Jocelyne Saucier, que je découvre et que je ne quitterai plus. Ces personnages, elles les aiment et les respectent. Ils sont sans complaisance ou passe-droit, parfaitement intègres dans leur fibre fictionnelle.
Avec un juste dosage de mystère, elle nous dévoile l’histoire en donnant les points de vue de ses personnages, mais pas toujours. Le feu de Matheson, et sa légende, est intégré dans la narration, comme un motif appliqué sur un tissu, consolidant du coup la vie d’un des vieillards. Marie Desneiges est le personnage attractif, on s’attache à outrance à cette femme qui a vécu l’injustice sans perdre complètement la tête. C’est l’enfant du groupe. La photographe reste secondaire, se tenant à côté de cette marginalité vécue comme une fête à tous les jours.
Ce n’est pas un roman contemplatif, il y a de l’action au possible dans la mesure des circonstances de la vie dans le bois dans un tel contexte. Et pour ceux qui y sont sensibles, l’auteure nous avertit dès le prologue, si on est patient, il y aura de l’amour dans l’air !
Oui, il n’y a pas à dire, même si je n’arrête pas de le dire, j’ai savouré ce roman.