Le Crépuscule de la Marmotte Cendrée
Cela fait un moment qu’on n’a plus entendu Villepin s’exprimer. Sa dernière performance remarquable avait laissé un goût d’inachevé. Il a donc décidé de revenir au travers d’un livre dont on se demande s’il ne marquera pas la fin définitive d’une époque. Oui, à bien des égards, on assiste au crépuscule de la marmotte cendrée.
Dominique de Villepin, il y a très longtemps, fut premier ministre de la République Française. C’était un autre monde où la France pouvait encore faire semblant d’avoir du prestige. C’était un temps où augmenter la dette de 30 ou 35 milliards par an n’était pas vu comme dramatique. C’était un temps où les pschitts et les explications abracadabrantesques de Chirac pouvait encore faire illusion.
Après cette période dorée où Dominique a pu goûter aux joies du pouvoir, il est passé à la case « ancien premier ministre ».
Et depuis quelques temps, il est surtout ancien. C’est aussi à ce titre qu’il nous gratifie donc d’un recueil de mémoires, celles d’un pays qu’il fantasme un peu (mais pas trop violemment pour ne pas risquer un AVC). Et comme il fallait décoder ce pensum, il a livré une interview à des journalistes, n’importe lesquels, ceux qui veulent, n’importe qui … quelqu’un ? Youhou ?
France-Soir ? Bon. Ok. Va pour France-Soir.
On y apprend ainsi que notre ancien est pessimiste sur l’avenir de la France. Lui aussi se rend compte que le pays a accumulé des décennies de problèmes. Mais attention, hein, pas lorsqu’il était aux commandes !
« Quand j’ai quitté Matignon en 2007 … Nous avions réduit de deux points le taux de chômage et nous avions baissé le poids de la dette de deux points et demi par rapport au PIB. »
Oui, Dominique n’a pas tort mais il oublie un petit détail gros de plusieurs milliards d’euros : certes, par rapport au PIB qui augmenta pendant cette période, la dette aura diminué. Mais en valeur absolue, en pépettes que les Français doivent rembourser de leur sueur, la dette est passée de 1147.6 milliards en 2005 à 1211.6 en 2007, soit 64 milliards de plus.
Eh oui : il a été comme tous les autres. Dispendieux, incontinent des deniers publics, dilapidateur, prodigue de l’argent des autres. Comme exactement tous les autres avant lui sur près de 40 ans, il a claqué des thunes au lieu de redresser le pays et il ne doit ces deux points de % en moins qu’à une conjoncture favorable qui tient tout de la chance et rien à ses dons pour l’économie…
Evidemment, la suite est à l’avenant : l’absence totale de scrupules lui permet de pipeauter sur les efforts qu’il aurait entrepris, dans son monde fantasmagorique, lorsqu’il était au pouvoir, et qui aurait ramené le pays sur le bon chemin. Certes, on peut constater une part de lucidité lorsqu’il explique qu’on ne peut plus se contenter de plans de rigueurs « trop modestes ». Mais ce n’est pas son historique personnel qui permet d’affirmer qu’il en aurait un, pas trop modeste, dans la manche.
Lucidité, au passage, qu’on retrouve fugacement, mêlée d’un antagoniste aveuglement personnel, dans une petite phrase presqu’étonnante :
La classe politique se place exclusivement dans une perspective de conquête de pouvoir, pas dans l’exercice du pouvoir.
La distinction conquête et exercice est un peu artificielle, mais on retiendra surtout qu’il a bien vu que nos élites n’étaient plus dans ces courses à l’échalote que pour ce pouvoir dont la politique les a rendus accros au dernier stade. On notera aussi qu’il ne s’inclut pas dans « ces » élites-là. Ce qui est franchement faux.
Quant au reste, c’est l’habituel galimatias d’idées creuses, les appels poignants à un renouveau mousseux et aérien, de grandes envolées lyriques et politiques ou tous se rassemblent sous une même bannière, en sifflotant la Marseillaise, l’Internationale ou la Carmagnole (compromis à trouver) pour aller conquérir les steppes herbeuses et ensoleillées du bonheur citoyen :
« il faut que chaque Français puisse se sentir propriétaire de la France. »
Eh bien les Français, ils n’attendent que ça, mais le plus gros propriétaire du bazar, actuellement, c’est l’Etat, qui bouffe à peu près tout : plus ça va et plus les Français ne sont que locataires d’un pays qui les ronge… Ce constat, finalement, nul à droite ou à gauche, ne le forme. Et là encore, le gaulliste, empêtré dans les lourdes tentures d’apparats républicains et les symboles pesants d’un passé révolu, a bien du mal à démarquer ses réflexions du porridge froid que les politiciens nous servent sans sourire.
À ces remarques, je conviendrais que, oui, effectivement, Dominique de Villepin n’est pas haïssable comme on peut haïr un tyran ou un criminel de guerre. Mais je maintiendrais mes sarcasmes : non, cet homme, comme tant d’autres en politique, ne mérite que notre mépris tranquille et amusé et nos moqueries désabusées, car il est l’illustration parfaite de ce que le goût du pouvoir produit ; il démontre à tous ce qu’on peut être, ce qu’on peut devenir, le ridicule qu’on peut faire sien pour obtenir cette parcelle de média, ces bouts de pouvoir et ces petits privilèges de puissants que seule une république bien trop généreuse peu accorder.
En réalité, s’il est pitoyable, ce n’est pas parce qu’il a chu, mais parce que même à terre, il réclame encore et encore exactement les mêmes choses que ce que les autres, tous les autres réclament et manipulent tous les jours, de Mélenchon, Valls, Aubry, Hollande, Royal, à Montebourg, à Bayrou, à Sarkozy, Le Pen, j’en oublie de pleines brouettées…
Villepin n’est pas l’exemple d’un échec. Il est l’exemple d’une passion dévorante pour le pouvoir et son échec permet de montrer à quel point cette passion est pathétique. Ne vous leurrez pas : dans les critiques d’un Villepin, on peut trouver beaucoup de critiques vers chacun des noms précédemment cités ; pour le moment, ils n’ont pas encore failli, ils ont encore cette poussière d’étoile dans les yeux qui attire les télés, les gros micros mous et les journalistes attachés au bout, mais rassurez vous : tous ressembleront, les uns après les autres, à ce pauvre Dominique lorsqu’ils seront descendus de leur piédestal, à l’instar d’un Rocard dont les consternantes bêtises embarrassent de plus en plus ses amis et même ses ennemis.
Et le plus drôle est que cet individu, après ces belles paroles, se lancera mollement dans la campagne (en Février, semble-t-il dire) pour en sortir assez vite, grand Seigneur, afin de ne pas trop enquiquiner Sarkozy et lui donner toutes ses chance. Du reste, on peut compter que Borloo utilisera la même stratégie. Et pour ce bel effort suivi de ce bel abandon, soyez certains qu’ils ont tous deux déjà négocié quelque poste en cas de victoire du sortant.
La soupe est décidément trop bonne.
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