Trois aspects principaux retiennent l’attention dans ce poème : le premier est qu’il est purement descriptif ou presque , le second est que le regard de son auteure est dirigé complètement vers l’extérieur et le troisième est que le paysage décrit est constitué d’objets inanimés suscitant le dégoût . Une lecture hâtive conduirait à en conclure que l’auteure est gagnée par un mal existentiel aigu qui lui a occasionné une nausée intense vis-à-vis du monde et que cette nausée lui a créé le pressentiment d’une mort qui pourrait être imminente (le voyage aura-t-il lieu ? ). Cependant tout porte à croire que ce voyage a déjà eu lieu mais à travers l’âme de l’auteure et plus particulièrement au fond des abysses de son inconscient et non vers un monde externe. En effet, le paysage répugnant qu’elle décrit a toutes les particularités d’un cauchemar éveillé dont les racines sont à chercher dans l’enfance et non dans le milieu environnant qui s’ouvre sur l’univers. Sur le plan du style, l’accumulation des connotations suscitées par les traits des objets décrits a conféré au texte le cachet spécifique de ce qu’on appelle la poéticité des choses très chère à Francis Ponge que la poète a habilement maniée en purifiant son discours de tout sens référentiel .
Mohamed Salah BEN AMOR
Le voyage
A l'épicentre de nos nuits
les arbres poulpes à l'envers
envoûtent de leurs rotations
l'air pellicule de moiteur,
résine aux pustules dorées
en embuscade sur les toits.
Les oiseaux emmurés vivants
forment des cloques aux parois
leur respiration
nous oppresse.
L'orage est un gros batracien;
suspendus à ses lianes d'air
plus épaisses que des pythons
hématomes, lividités
spongieuses pulsent en grand chœur
et la languidité du soir
soufflète les papiers gras;
tel un spectre mauve collant
aux briques, elle aspire l'aura
des murs où va la chair-de-poule
Le voyage aura-t-il lieu ?