Les hommes politiques nous ont joué cet été une comédie en accusant les marchés, les spéculateurs ou les agences de notation d’être à l’origine de la crise. Cessons d’écouter ces fables, et voyons les choses simplement : la crise actuelle est une crise de l’endettement public dont l’entière responsabilité revient aux États.
Par Jean-Yves Naudet
Publié en collaboration avec l’ALEPS(*)
La comédie du pouvoir
Les hommes politiques nous ont joué cet été une comédie, de Paris à Washington, en passant par Athènes et Bruxelles, qui n’avait rien de divine et qui était même plutôt diabolique. Résumons : les marchés sont méchants, myopes et irrationnels, les spéculateurs, « ces pelés, ces galeux d’où venait tout le mal », sont sans entrailles ni morale. En revanche, les hommes politiques, responsables du bien commun, voient loin, sont omniscients et sauront nous sortir du mauvais pas dans lequel marchés et spéculateurs nous ont mis. Dormez, braves gens, l’État veille sur vous.
Cessons d’écouter ces fables, et voyons les choses simplement. Personne ne peut nier que la crise actuelle, en Europe et aux États-Unis notamment, soit une crise de l’endettement public. Certes, on accuse les agences de notation, mais c’est aussi rationnel que d’accuser le thermomètre de provoquer la fièvre. Il paraît que les agences, étant privées, ne sont pas objectives ; on imagine que si on les nationalisait, elles le seraient bien plus et critiqueraient sans hésiter les États dont elles dépendraient ! Autant revenir au temps du monopole d’État sur la radio et la télévision : l’objectivité de l’ORTF, média public, était légendaire !
Mais cet endettement public n’est pas tombé du ciel. Il n’a pas été créé par le « capitalisme immoral » ou les patrons « avides de profit ». S’agissant de dette publique, donc de déficit budgétaire, il n’y a qu’une responsabilité et elle est politique : les États, les gouvernements et les parlements. Certes, il y a toujours eu des déficits publics, entrainés par des dépenses excessives, conduisant à des emprunts et parfois à la banqueroute ou à une création monétaire et donc à de l’inflation. Mais chacun savait que ce n’était ni un bien, ni une solution durable. C’est le keynésianisme qui a donné une soi-disant justification théorique aux déficits publics : augmenter les dépenses publiques, en créant des déficits, c’était accroître la demande globale et, par le miracle du multiplicateur keynésien, relancer toute l’économie.
Tous keynésiens, toujours keynésiens
Les hommes politiques sont presque tous devenus keynésiens, parce que c’est une technique facile à comprendre et facile à vendre aux électeurs : dépensez de l’argent que vous n’avez pas, demandez la manne publique; vous ferez une bonne action, car cela relancera l’économie. Si l’on prend le cas de la France, le dernier budget équilibré remonte à 1974. Dès 1975, la relance du gouvernement Chirac faisait exploser déficit et dette. Même sous Raymond Barre, pourtant plus rigoureux, les déficits n’ont pas été résorbés. Depuis 1981 et la relance Mitterrand (sur les « bons conseils » de Jacques Attali) les déficits ont explosé. Chaque année budgétaire étant en déficit, la dette publique n’a cessé d’augmenter.
Et la crise de 2008 ? Elle s’est produite alors que les déficits publics étaient déjà élevés (plus de 3% en France et une dette à 60% du PIB), et elle a été essentiellement causée par le laxisme monétaire, notamment de la FED aux USA. Le « miracle keynésien » a en fait affaibli la croissance, et la responsabilité exclusive en incombe aux États, à leur politique monétaire laxiste, mais aussi à la politique budgétaire, qui a privé les investissements productifs d’une épargne, détournée vers les finances publiques (effet d’éviction).
Mais il fallait sortir de la crise. Un esprit raisonnable aurait suggéré de s’attaquer aux causes de la crise (laxismes monétaire et budgétaire), mais le dogme keynésien est tellement présent qu’on n’a entendu qu’un cri (un peu moins fort en Allemagne) : relançons. Relançons par la hausse des dépenses publiques. Résultat : les déficits budgétaires ont cette fois explosé, atteignant souvent des montants supérieurs à 10% du PIB, faisant passer la dette publique à 87% du PIB en France, à 100% aux États-Unis, à 120% en Italie, à 149% en Grèce. Relisons les discours d’il y a deux ou trois ans : la relance budgétaire va nous faire sortir de la crise.
L’Allemagne paiera…
Résultat : la récession s’est aggravée. Toutes les études (en particulier celles de l’IREF) montrent que plus la dette publique est forte, plus l’économie ralentit. Les déficits sont « comblés » au fur et à mesure par de nouveaux emprunts. Qui prête ? Les épargnants, les organismes financiers, les pays créanciers (Chine ou OPEP). Que demandent-ils ? Une rémunération qui dépend du risque. Qui serait assez fou pour prêter au même taux à la Grèce, dont la faillite est déjà là, et à l’Allemagne, plus solide (tant que Madame Merkel résiste aux « assauts » de Nicolas Sarkozy). En France, pour l’instant, on emprunte en gros à un point de plus d’intérêt que l’Allemagne, mais dès maintenant il y a à payer chaque année 50 milliards pour les seuls intérêts. Et quelle situation pour ceux qui sont encore moins solvables : grecs, portugais, irlandais, et demain espagnols, italiens ou chypriotes…
A ce niveau d’endettement, plus personne ne veut prêter du moins à des taux supportables et le remboursement devient de plus en plus incertain. Qu’importe. On a trouvé deux solutions. La première, c’est la « solidarité ». Les fourmis (comme l’Allemagne) doivent prêter pour les cigales (comme la Grèce). L’Allemagne est riche, « l’Allemagne paiera » disait-on déjà en 1920 ! Pour l’instant on n’a dépensé ou garanti « que » 417 milliards à travers le Fonds de Solidarité Financière Européen, une invention géniale qui consiste à demander à des endettés de verser des fonds pour rembourser leurs dettes. Cette « manne » financière peut suffire pour la Grèce, l’Irlande, le Portugal. Mais la Grèce c’est 2% du PIB européen ; comment fera-t-on quand on en viendra à l’Espagne ou à l’Italie ? Combler les dettes des uns par les dettes des autres ; c’est ce qui a conduit Madoff en prison.
L’inflation fera le reste !
Autre solution : monétiser la dette. La Fed a donné l’exemple, la BCE a fini par suivre. Ces banques centrales rachètent la dette publique. En contrepartie elles créent de la monnaie (donc de l’inflation demain) ou elles essaient de « neutraliser » cette création monétaire par un tour de passe-passe : la BCE rachète les titres publics détenus par les banques, leur donne en contrepartie de la monnaie que ces banques replacent aussitôt auprès de la banque centrale, moyennant intérêt. Ainsi les actifs pourris passent des banques vers la BCE qui risque de devenir à son tour une « bad bank ». On s’étonne qu’après ça les investisseurs privés s’inquiètent, que la bourse soit volatile, que les gens cherchent des « valeurs sures » ! La bourse n’est pas irrationnelle ; elle ne fait que réagir à l’irrationalité des politiques. La « solidarité » européenne n’est qu’une fuite en avant où l’on ajoute de la dette à la dette et de la monnaie de singe à la monnaie de singe. Toujours Madoff. Les États-Unis font de même et la Fed est devenue le premier détenteur de bons du trésor US !
Les politiques semblent réaliser peu à peu qu’il faut réduire déficit et dette, après les avoir provoqués et loués. Mais ils n’ont pas pris la mesure du problème. Promettre, comme la France, de ramener le déficit à 5,7% cette année, 4,8 l’an prochain, 3,5% en 2013 signifie que la dette publique va continuer à croître. Pour réduire la dette publique, il faut des budgets en excédent ou au moins à l’équilibre. C’est affaire de volonté politique et non de « règle d’or ». Car il y avait déjà la règle, pourtant provenant d’un traité, donc impérative, du déficit maximum de 3% : on sait comment chacun s’est empressé de la violer. Pour supprimer les déficits, il faut diminuer drastiquement les dépenses publiques.
Mais les politiques n’ont pas compris l’ampleur de la tâche. Réduire les dépenses publiques drastiquement, c’est faire maigrir l’État. Ce n’est pas pour autant faire disparaître l’éducation, la santé, la protection sociale, etc. La seule façon de résoudre ce paradoxe apparent, c’est de privatiser, de déplacer la frontière public/privé ; c’est donc de rendre à la société marchande et à la société civile ce qui aurait toujours dû leur appartenir. Les politiciens rêvent de diminuer les dépenses sans réduire l’État. Les démagogues auront alors beau jeu de dire : « vous n’aurez plus d’écoles ou d’assurance maladie ». La grande bataille qui s’annonce doit consister à montrer que l’on peut faire sans l’État, mieux que l’État.
Sur le web.
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(*) L’ALEPS, présidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.