Erik Orsenna s’est découvert une vocation d’encyclopédiste du 21e siècle. Il nous parle de la grammaire, du Gulf Stream, du coton, de l’eau… Il n’oublie pas pour autant qu’il est romancier et joue sur les deux registres dans L’Entreprise des Indes. Un retour sur Christophe Colomb, par l’intermédiaire de son jeune frère Bartolomé, roi d’Hispañola (Saint Domingue). Il est interrogé par Bartolomé de Las Casas, désireux de savoir comment un projet en forme de rêve s’est transformé en génocide.
Cartographe à Lisbonne, où la géographie est un secret d’Etat pour servir aux projets de conquête du roi, Bartolomé fixe à la demande de Christophe les étapes de sa grande entreprise: ouvrir, en naviguant d’île en île, la route des épices vers l’ouest. Les livres ont anticipé le voyage, les mathématiques l’ont justifié. Et les ambitions diverses l’ont perverti…
C’est un régal de voir comment Christophe et son frère parviennent à expliquer, sans convaincre les Portugais, pourquoi la distance à parcourir sera limitée. Le calcul approximatif de la surface de l’Asie, en suivant le récit de Marco Polo, réduit d’autant le chemin dans l’autre sens. On sait à quel point la vérité s’est révélée différente.
La coïncidence du départ de Christophe Colomb et de l’expulsion des Juifs d’Espagne était un signe néfaste. La suite dira combien les hommes, même poussés par une légitime curiosité, sont toujours tentés de tomber dans les pires travers. Orsenna le rappelle dans un roman où la voix de Bartolomé est poussée par le besoin de livrer enfin ce qu’il n’était pas destiné à raconter lui-même.