Libération a publié une lettre envoyée par le CNT au bureau de l’Émir du Qatar, le 23 avril, expliquant que le CNT s’était engagé à accorder à Paris 35% des réserves libyennes de pétrole brut. Mais cette nouvelle bataille de Libye est loin d’être terminée.
Un article d’open Europe
Le rideau est tombé sur la conférence de Paris sur la Libye. Maintenant qu’est passé le temps des poses pour les photos et les appels rituels à la « réconciliation et au pardon », une nouvelle bataille pour la Libye, avec tous les principaux pays ayant participé aux opérations militaires qui jouent des coudes pour arriver aux premières places de la queue menant à des accords énergétiques juteux avec le nouveau gouvernement libyen.
De ce point de vue, la France est sans aucun doute en tête au premier virage. La plupart des gens à Paris voient la chute du régime Khadafi comme « la victoire de Nicolas Sarkozy ». Et ces mêmes personnes pensent désormais que la France a le droit de réclamer un traitement préférentiel de la part du Conseil National de Transition (CNT) libyen. Le quotidien de gauche Libération, certainement pas la lecture préférée de Sarkozy, suggérait hier que la France avait commencé à se mettre en chasse de sa propre stratégie de chacun pour soi*, bien avant le début des opération militaires. Le journal a publié une lettre envoyée par le CNT, au bureau de l’Emir du Qatar le 23 avril, expliquant que le CNT s’était engagé à accorder à Paris 35% des réserves libyennes de pétrole brut, en retour contre « un soutien entier et permanent ».
Comme ça se produit habituellement dans ce genre de situations, le CNT a immédiatement nié l’existence de cette lettre. Le très expérimenté Ministre des Affaires étrangères français Alain Juppé, a aussi déclaré n’être pas au courant de la lettre, mais a ajouté sans équivoque :
Le CNT a déclaré très publiquement que, dans l’effort de reconstruction, il donnerait un traitement préférentiel à ceux qui l’ont soutenu… Ça semble assez logique et juste.
Autrement dit, les Français sont partis très vite au démarrage cette fois-ci, quand on sait qu’une délégation d’entreprises françaises se rendra en mission commerciale plus tard ce mois-ci. Cependant, le Ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a garanti que le Royaume Uni, qui a porté le gros du fardeau militaire côte à côte avec la France, « ne serait pas laissé pour compte ».
De plus, David Cameron a déclaré au programme Today de la BBC ce matin :
Je pense qu’il y a un grand danger que les occidentaux tirent trop la couverture à eux quant au mérite qui leur revient. Franchement, ceci est un triomphe libyen. C’est le peuple libyen qui s’est débarrassé d’un dictateur.
Une critique voilée de Sarkozy ?
Et n’oublions pas l’Italie qui, soyons justes, a été un peu réticente à faire la guerre en Libye, le Président du conseil des ministres Silvio Berlusconi ayant déclaré, en février, ne pas vouloir « déranger » son ami Khadafi. Berlusconi pourrait bien avoir la tête ailleurs ces derniers temps, mais les compagnies italiennes, elles, semblent bien concentrées sur la question de comment préserver leur position privilégiée en Libye. En effet, l’argument pourrait être avancé que l’accès prioritaire des compagnies italiennes au pétrole libyen reposait lourdement sur l’amitié personnelle entre Il Cavaliere et le colonel. Cependant, comme Paolo Scaroni, le PDG du géant pétrolier italien ENI, l’a récemment clarifié pour le Financial Times :
La question n’est pas de savoir qui est le premier ministre, mais bien la relation spéciale entre les deux pays, qui existe depuis des décennies. C’est dans l’intérêt de tous de la maintenir en l’état… [ENI va] se retrouver dans sa position de force habituelle, tout comme ces 20 dernières années.
Et qu’en est-il de l’Allemagne ? Eh bien, la campagne de Libye ne restera certainement pas l’une des pages les plus mémorables de la politique étrangère allemande. Cependant, les Allemands pourraient bien ne pas encore être éliminés de la course. En fait (merci à Marco Zatterin, journaliste italien, et à son blog Straneuropa, pour le tuyau), il semble que le commissaire de l’UE à l’énergie, l’Allemand Günther Oettinger, envisage de proposer que, dans le futur, tous les accords pétroliers et gaziers signés par des pays membres de l’UE avec des pays du tiers monde, doivent recevoir un coup de tampon officiel de Bruxelles (une façon détournée d’obtenir un véto sur tout accord préférentiel entre la Libye et les États membres). On pourrait facilement imaginer une bonne dose de lobbying de Berlin derrière ce plan, bien que l’article relève qu’Oettinger pourrait éventuellement faire marche arrière et laisser sa proposition dans un tiroir de son bureau mercredi prochain, par exemple pour éviter d’exposer la Commission à un tir de barrage de critiques des autres États membres.
Voilà où nous en sommes. Le coup de pistolet du départ a été tiré, et la situation apparaît déjà très intéressante. Il va sans dire que cette nouvelle, et plus subtile, bataille de Libye, va encore mettre un coup dans l’aile à la politique étrangère de l’UE qui « parle d’une seule voix », comme l’a déjà fait la campagne militaire. Il y a cependant quelque chose dont les gens à Bruxelles pourraient en fait se réjouir. Le président du conseil européen Herman Van Rompuy, le président de la commission José Manuel Barroso, et le ministre des affaires étrangères de l’UE la baronne Catherine Ashton, étaient tous invités à la conférence de Paris, ce qui est déjà une réussite en soi.
*: en Français dans le texte.
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