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Vertige

Par Arielle

balade-38.jpg Prise par la beauté des paysages et des tourbillons de senteurs que m’offrait la nature, les pieds au sec et la tête au soleil tout comme les mélèzes qui m’entouraient, je suivais ma petite famille dans les hauteurs de la forêt blanche, à la recherche d’éventuelles marmottes.

L’endroit était aride et sec et je craignais d’y rencontrer quelques serpents dissimulés sous les branchages chus à terre. La vallée du Guil en contrebas me rappelait que nous étions déjà à deux mille mètres au dessus du niveau de la mer. Nous profitions d’un joli dénivelé, le Mont Pelvoux et le Massif des Ecrins semblaient se confondre en un bleu légèrement embué par la chaleur. Le temps semblait être suspendu dans l’atmosphère, comme freiné par le silence que les montagnes nous imposaient. Pas un bruit, pas un son, nous étions seuls au monde et c’est là que l’esprit vagabonde.

Nos souffles fendaient l’air, nous marchions en rang d’oignons, courbés par l’effort, ravis par le décor. Le but était d’atteindre le sommet, tout là haut afin de profiter au maximum d’un panorama inoubliable.

J’avais lu quelque part que de nombreuses personnes risquent de développer des troubles liés à l'altitude lorsqu’elles dépassent les deux mille cinq cent mètres, que l’oxygène peut manquer et provoquer des évanouissements. Rien qu’à cette pensée, je commençais à voir trouble, à haleter, à blêmir. J’avais même l’idée de jeter mon paquet de cigarette tant adoré ! Rien n’allait plus, la tête me tournait. Mes enfants, me voyant dépérir à vive allure, tentèrent de me rassurer en m’indiquant sur le dépliant, que nous étions à proximité d’un télésiège où je pourrais me reposer et atteindre les plus hautes cimes sans abuser de mes forces. Mon Dieu, quel soulagement ! Je reprenais petit à petit mes esprits.

Pendant une pause bien méritée où petits gâteaux et jus de fruits étaient salvateurs, je me revoyais, petite, empruntant avec joie les remontées mécaniques. J’avais eu mes trois étoiles au ski et j’étais devenue une adepte des traversées suspendues à un câble. C’était tout bon, je pouvais y aller les yeux fermés.

C’est donc après plus de quarante années d’abstinence que je pris place sur le siège en bois, en compagnie de mon fils qui s’affairait à rabattre le garde-corps. Nous avions l’honneur d’être installés sur un des plus vieux modèles, sans repose-pieds et sursautant à chaque passage de pylône. C’était parti, la poulie se mit en branle !

Le biplace derrière nous était occupé par ma fille et son amie, qui fort réjouies, leurs petites jambes se balançant dans l’espace, nous clamaient quelques blagues. Toute l’équipée riait aux éclats tandis que moi, je riais jaune. Nous prenions de la hauteur et je n’avais plus dix ans ! Les sapins s’éloignaient tout doucement pour laisser place à un sol caillouteux et tellement sec que je me disais qu’en tombant, ça devait être fatal. Ce terrain effrayant m’attirait et je déviais mon regard mais rien n’y faisait : j’avais envie de sauter ! J’étais en proie à des fourmillements de plus en plus intenses, je suais à grosses gouttes puis j’étais frigorifiée. La peur m’envahissait, je ne me contrôlais plus, je sentais que j’allais perdre connaissance et je savais que si je m’évanouissais, mon corps serait très lourd et glisserait sous la barrière de sécurité qui se résumait à une simple barre de fer. Je me fracasserais sur les roches. Je luttais de toutes mes forces pour garder mon sang froid, je n’avais pas le droit d’inquiéter mes enfants. Je me sentais mal, je m’accrochais comme je le pouvais, je résistais contre moi-même. J’étais comme paralysée, handicapée et je me sentais fautive de céder à la panique mais quand l’effroi est là, la raison déraille et le cerveau s’obstine à accumuler les tensions et les blocages. J’étais fichue, il n’y avait plus qu’un épais brouillard devant mes yeux et une grosse tempête dans ma tête. Mes oreilles bourdonnaient, je ne captais plus rien, enfermée dans un monde irréel où je ne trouvais pas l’issue. D’ailleurs, je ne me débattais plus, je flottais dans le vide avide de revivre et je me laissais tomber à terre, lourde comme une masse.

Quelques bonnes claques me réveillèrent. Le flou disparaissait et j’entrevis ma petite famille penchée au dessus de moi. J’avais réussi ! J’avais tenu bon jusqu’à l’arrivée ! Oh miracle et sensations heureuses que de ne pas m’être éclatée sur les rochers.

Un peu sonnée, je me levais pour admirer la grandeur des montagnes. J’étais en communion avec l’immensité, l’univers m’appartenait, nous tenait en haleine après tant d’émotions. Le paysage était lumière, les lacs d’un vert si reposant nous contaient l’existence de monstres fabuleux, quelques fées vinrent remplacer mes étourdissements. Mon cauchemar se terminait en rêve et je serrais avec tendresse la main de mes chérubins sans lesquels je me serais laissée aller au fin fond du gouffre.


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