Le soir de la cérémonie d’ouverture de la dix-septième édition de L'Etrange Festival, à 21h et des poussières, le Forum des Images paraît vide. Pas un spectateur aux caisses pour acheter un billet, cinq ou six mecs qui attendent dans les fauteuils en bas, personne à l’horizon dans l’escalier menant vers les salles. Si les premières projections ont commencé quelques deux heures plus tôt, la cérémonie d’ouverture, elle - qui draine probablement toute l’attention ce soir et fait sans nul doute le plein de spectateurs – est en cours dans l’amphithéâtre. Au programme, The Divide de Xavier Gens, que je verrai en fin de festival.
Forcément, lorsque le premier soir du festival, on privilégie un film annexe à la soirée de lancement, on se trouve dans des couloirs plus calmes. Ce qui ressemble à une équipe de film papote à l’étage pendant que les festivaliers attendent que les portes de la salle 100 s’ouvrent pour aller découvrir Confessions. Pour l’occasion, ce n’était pas la foule des grands soirs, qui donc s’était sûrement calée sur The Divide, mais bon an mal an, la salle a fini par se montrer quasi pleine. L’ambiance de L’Étrange Festival est revenue comme si l’édition 2010 s’était achevée hier. L’ami Guillaume d’1kult qui me raconte El Infierno qu’il a vu juste avant et compare avec moi son agenda de projections prévues au cours du festival, une cinémaniaque un peu plus à droite qui parle toute seule et fait craindre qu’elle commentera peut-être le film en le visionnant (ouf, elle s’est retenue), Douglas Buck, présent le lendemain en tant que réalisateur d’un sketch de Theatre Bizarre, se trouve un fauteuil de libre, et une présentation en règle du film du soir, sur le ton de la connivence, avant qu’un court métrage plutôt fun, Viva Las Possum (australien vu les accents) ne nous déride avant le plongeon dans le grand bain.
Le grand bain en question donc, c’était Confessions, du cinéma japonais ayant glané une belle réputation ces derniers mois en Asie (et sur le web), assez loin du film pour lequel on connaît son réalisateur Tetsuya Nakashima en France, le coloré Kamikaze Girls, sorti à l’Orient Express il y a quelques années. Confessions commence dans la salle de classe d’un lycée japonais. Une prof essaie de se faire entendre de ses élèves qui mettent un joyeux bordel en cours. Personne ne prête franchement attention à elle alors qu’elle leur fait un long speech, au cours duquel elle décide finalement d’attirer leur attention en leur racontant un épisode intime et tragique de sa vie, la mort de son enfant… avant de révéler que les responsables de cette disparition se trouvent dans cette salle.
Cette séquence dans la salle de classe s’étire avec une audace étonnante. Non contente de poser le cadre, les personnages et l’intrigue, le cinéaste y reste encore tandis que d’autres en seraient déjà sortis depuis longtemps. Le discours de l’enseignante rebondit, la réaction des élèves évolue, des flash-backs viennent nourrir le récit, mais la salle de classe reste là. Et avec elle, un regard impitoyable sur la jeunesse japonaise, insouciante, mais d’une insouciance sombre, un monde à part dans lequel le respect n’existe pas et les moqueries, la violence physique et morale constantes. Le regard est fort, dur. Le propos de Nakashima sera, à l’aune de ces premières minutes, implacable, cela semble acquis.
Pourtant il y a assez vite quelque chose de gênant dans Confessions. Dès cette première partie dans la salle de classe, qui occupe un bon tiers du film et affiche une nette tendance du réalisateur à esthétiser à la limite de l’outrance, on frise l’exercice de style narratif. Ce jeu sur les sons, cette musique lancinante revenant continuellement, ces flash-backs incessants, tout cela fait naître une fascination inévitable mais tendant toujours vers la lassitude. Devant cette rengaine stylistique qui semble éternelle, une bourrasque n’aurait pas été désagréable. Une bourrasque qui finalement intervient, détournant de la salle de classe, multipliant les points de vue, les narrateurs. Le film s’emporte, un peu n’importe comment mais avec panache, sur une pente mélancolique se trahissant depuis les premières minutes par ces couleurs grises et mornes, et trouvant son paroxysme dans des séquences sous la pluie, au ralenti, avec du Radiohead en fond sonore. Beau ? Pas mal oui… Cliché ? Facile ? Pas qu’un peu.
Confessions se veut un film choc, jusqu’au-boutiste, enfonçant la société japonaise là où elle doit, selon le cinéaste, être pointée du doigt, sur les relations parents/enfants, profs/élèves, élèves/élèves. La violence est partout, et ses conséquences sont sévères. Le résultat est fort, mais trop noyé dans le désir d’esthétisme visuel et narratif, trop freiné par des longueurs accentuées par le bordel ambiant. Une entrée en matière mordante pour L’Étrange Festival, à défaut d’être emballante.