Et si finalement la France regardait l'histoire récente de l'Argentine pour tirer quelques leçons bien utiles d'une situation actuelle peu réjouissante? Rappelez-vous, le 5 décembre 2001, le FMI (encore lui!) refuse un prêt de 1,264 milliard de dollars au gouvernement argentin confronté à une dette abyssale de 132 milliards de dollars. Le Fonds monétaire international (FMI) déclenche alors en Argentine une crise d’une ampleur sans précédent. Le 19 décembre 2001, des dizaines de milliers de citoyens descendent spontanément dans la rue pour manifester leur mécontentement. La révolte populaire fera trente et un morts, victimes de la répression policière, des milliers de commerces sont mis à sac, quelques quartiers des grandes villes du pays sont dévastés et la république argentine se retrouve décapitée. La moitié des 35 millions d'argentins sont plongés dans la pauvreté. Les Argentins ne peuvent plus retirer une somme supérieure à 250 dollars par semaine en argent liquide de leur compte en banque.
10 ans plus tard, le miracle argentin a eu lieu et le pays a l'une des plus fortes croissance du continent américain, une information qui semble échapper à bon nombre d'observateurs de l'autre côté de l'atlantique. Sur les 7 dernières années, la moyenne de la croissance économique s'élève à 6%. Le taux de chômage, qui était de 20% en 2002 est maintenant en dessous de 8% et le ministre de l'économie argentin, Amadeo Boudou, parie que le taux de chômage sera en-dessous de 5% d'ici 3 ans. Quand au niveau de pauvreté, il a diminué de moitié en moins de 10 ans.
Aujourd'hui, Buenos Aires est redevenue une ville trépidante avec une circulation dense (800 000 nouvelles voitures par an), les vignes de la région de Mendoza sont devenus un haut-lieu touristique, les hôtels et les restaurants du pays offrent une gastronomie reconnue au niveau international et les écrans plasmas et les blackberrys sont devenus les pêchés mignons d'une classe moyenne avide de consommation. Comment l'Argentine a réussi ce miracle économique, retrouver cette prospérité envolée en 2001 après des années d'errance? Certes, il y a une part de chance avec le boom de la consommation des matières premières, comme le soja, le blé et le maïs qui profitent aux producteurs argentins au niveau des exportations. Mais il y a eu également des décisions gouvernementales intelligentes au niveau économique prises par Eduardo Duhalde en 2002 et par Nestor Kirchner, le nouveau président en 2003, et son excellent ministre de l'économie de l'époque, Roberto Lavagna. L'Argentine décide notamment d'avoir un peso volontairement faible afin d'encourager l'industrie locale, avec des exportations à bas coûts tandis que Nestor Kirchner taxa très fortement les importations.
la politique d'austérité du FMI ne fonctionne pas
L'argent rentre de nouveau dans les caisses de l'état et, avec cette manne, le gouvernement argentin va investir dans de vastes programmes sociaux, augmentant considérablement les dépenses de l'état pour construire 400 000 nouveaux logements pour les classes démunies tout en construisant de nouvelles infrastructures, avec cette autoroute au nord du pays reliant les villes de Rosario à Cordoba. Entre 2003 et 2007, Nestor Kirchner double la masse salariale. Kirchner est aussi l'homme qui a dit non au FMI, refusant un nouveau plan d'austérité proposé par le Fonds Monétaire International, au point de réussir en 2005 à renégocier la dette publique argentine, une réduction d'environ 70% des 82 milliards de dollars de la dette.
En 2009, l'Argentine franchit une nouvelle étape au niveau social: le gouvernement distribue pour la première fois une allocation familiale de 42 dollars par mois pour 2 millions de famille à faible revenu. Cela encourage ainsi la consommation. En contrepartie, les familles doivent s'engager à ce que les enfants aillent régulièrement à l'école, permettant une baisse générale de l'illettrisme. Au niveau politique, le redémarrage de l'économie assura une popularité élevée à Nestor Kirchner qui permit à sa femme Cristina d'être élue confortablement en 2007. Suite aux primaires d'il y a deux semaines, l'actuelle présidente devrait de nouveau triompher aux présidentielles d'octobre prochain.
Comment l'Argentine en est arrivé à ce virage social et à cet interventionnisme de l'état au niveau économique? La raison est fort simple: la politique d'austérité imposée par le FMI (et qui est aujourd'hui la tasse de thé des pays occidentaux, y compris pour la France de Sarkozy et les Etats-Unis d'Obama) à l'Argentine à partir de 1999 n'a apporté aucune croissance économique et n'a fait qu'accélérer la chute du pays, concrétisée par les évènements de Décembre 2001. Lorsque le gouvernement argentin se serra la ceinture entre 1998 et 2002, la croissance économique de l'argentine chuta de 20% et les capitaux partirent à l'étranger. C'est seulement lorsque le gouvernement argentin tourna le dos aux demandes d'austérité du FMI et se retrouva en cessation de paiement que le pays entama son formidable redressement.
Cela ne veut pas dire qu'il faut copier bêtement le modèle argentin. Si on analyse bien l'économie argentine de 2011, les problèmes subsistent: les fortes taxes sur les importations découragent les investissements étrangers tandis que l'inflation reste élevée puisqu'elle est en moyenne à presque 20% au niveau annuel. Enfin, l'Argentine reste un pays en développement dont la stabilité reste à prouver: la corruption est toujours présente, les Kirchner ont successivement dirigé le pays avec une certaine opacité et avec aussi un certain recours à l'autoritarisme tandis que le gouvernement a une fâcheuse tendance à camoufler les vrais chiffres de l'inflation.Enfin, il n'est quand même pas conseillé à la France de suivre l'exemple de 2001 et d'aller jusqu'à la cessation de paiement, même si la Grèce semble bien partie pour connaître le même destin que le peuple argentin.
Il n'empêche. Le redressement mené par les époux Kirchner (Nestor Kirchner était totalement inconnu en 2003, n'étant qu'un modeste gouverneur d'une province de patagonie) interpelle et permet de tirer des leçons. Tout d'abord, une réduction extrême des dépenses publics dans une période de ralentissement économique ne fera qu'inhiber encore plus la croissance. Par contre, les dépenses publiques dans le but de promouvoir l'industrie locale, d'améliorer les infrastructures routières ou d'augmenter les allocations chômage n'ont pas plongé l'Argentine dans une parodie de l'ex-union soviétique. Bien au contraire, car cet argent est allé dans les poches des classes moyennes qui l'ont ensuite dépensé et permis de relancer l'économie.
Autrefois 8ème économie mondiale au début du 20ème siècle, l'argentine déclina doucement tout au long du siècle dernier, marquée par une histoire mouvementée, avec des dictatures sauvages et meurtrières et des politiques économiques aventureuses qui menèrent le pays à la faillite. Aujourd'hui, l'Argentine retrouve de sa superbe et Cristina Kirchner pourra toiser du regard, lors du prochain G20 de fin Septembre, les Obama, Sarkozy et Berlusconi, ces dirigeants qui semblent bien en panne d'inspiration pour redresser une situation économique sur la mauvaise pente...