Aux Etats-Unis, hommes et femmes politiques ne redoutent qu'une chose plus que l'échec: être pris en flagrant délit de mensonge.
Là-bas, le mensonge est plus grave que son objet. Il est politiquement mortel.
Mais nous sommes en France. En Sarkofrance. Et les plus hautes autorités de l'Etat peuvent mentir, de surcroît dans une une affaire d'espionnage de journaliste, sans que cela ne prête à conséquence.
Cette semaine, Nicolas Sarkozy avait organisé son agenda comme toujours, hors sol et électoral. Un sermon aux ambassadeurs, une grande conférence sur la Libye, un déplacement dans les Vosges sur l'emploi, et hop, le tour était joué! Mais voici que dès mercredi, pour son retour sur le sol français, une nouvelle tourmente politico-médiatique bousculait les plans présidentiels.
Le système mis à nu
Lundi, Nicolas Sarkozy n'était pas encore revenu. La presse relayait encore l'incroyable voyage calédonien, sur fond d'université socialiste à la Rochelle. A Nouméa, le président français s'était montré souriant, serein, ouvert et tolérant. Un rôle de composition qu'il nous sert avec régal depuis bientôt un an. Du coin de l'oeil, il surveillait quand même les débats socialistes, comme le lait sur le feu. Il est candidat, et a déjà franchi une étape: plus personne, dans son camp, ne semblait lui contester le leadership politique à droite. Tous derrière lui ?
Son agenda officiel avait été vidé jusqu'à mercredi matin, et son conseil des ministres, avant sa traditionnelle intervention devant les ambassadeurs et, le lendemain, une grande conférence des amis de la nouvelle Libye. Ce jour-là, catastrophe ! Le scenario présidentiel fut planté par un ouvrage au titre évocateur « Sarko m'a tueR ». Les deux auteurs, Gérard Davet et Fabrice Lhomme avaient recueilli les témoignages de 27 victimes récentes du chef de l'Etat, 27 « gêneurs » si gênants qu'ils furent pressurés, brisés, écartés, bref, réduits au silence.
Mercredi, l'attention était d'abord sur une révélation de la juge Prévost-Desprez, une magistrate chargée quelques mois durant d'instruire l'affaire Woerth/Bettencourt, avant d'être dessaisie du dossier pour « Sarko-incompatibilité ». Un an plus tard, la juge raconte le climat de pression qui entourait son instruction. Deux témoins, dont une infirmière, lui auraient confié, hors procédure par crainte de représailles, qu'ils avaient vu Nicolas Sarkozy récupérer une enveloppe d'argent de Liliane Bettencourt au plus fort de la campagne de 2007.
Scandale ! Le démenti officiel de l'Elysée fut immédiat, preuve d'une nervosité évidente. Un à un les ténors de Sarkofrance dénoncèrent une rumeur, une manipulation, une calomnie. En fin de journée, l'hebdomadaire Marianne clôturait cette éprouvante journée par un autre démenti. L'infirmière réfutait ses propos, mais confirmait avoir reçu des menaces de mort.
Le livre révélait bien d'autres choses: pression sur la justice, déstabilisation médiatique avec la complicité d'un grand quotidien, menaces anonymes ou publiques, mutations autoritaires, enquêtes des services de l'Etat y compris d'espionnage...
Dans quel pays vivons-nous ?
Dans une autre affaire, les révélations des relations entre le clan Sarkozy et Ziad Takieddine un homme d'affaires qui aida Guéant et Hortefeux à négocier des contrats de surveillance avec la Libye jusqu'en 2007 au moins, Fabrice Arfi, l'un des journalistes de Mediapart auteurs de l'enquête a porté plainte contre Pierre Sellier, patron d'une cellule d'intelligence économique, après des menaces de mort qu'il aurait reçu. La violence des propos de ce dernier, cette semaine, était incroyable. Tout ça pour la défense du Monarque !
Vendredi, les photos de Takieddine, Guéant et Copé sur le yacht de l'homme d'affaires s'affichaient même à la télé, sur Canal+.
Jeudi, Claude Guéant, ministre de l'intérieur, confirmait avoir fait espionner un journaliste du Monde lors de l'affaire Bettencourt. Il parla de repérages techniques. C'était une gaffe, une grave. Avec cette simple phrase, Claude Guéant reconnaissait que Nicolas Sarkozy et lui-même avait mentit, il y a un an.
Après les dérapages Bling Bling (2007-2008), le contrôle des médias et des sondages (2009), et les conflits d'intérêt (2010), voici une nouvelle facette du système Sarkozy mise à nu, plus grave, plus sombre, entre menaces, intimidations, manipulations et mensonges d'Etat.
Le prétexte libyen
Coûte que coûte, Nicolas Sarkozy tenait à son agenda diplomatique. Son discours de rentrée aux ambassadeurs, mercredi, a fait flop. « Le monde change... et en bien » a-t-il déclaré.Pour ajouter une menace d'intervention militaire en Iran contre ses installations nucléaires ! Depuis sa « victoire » en Libye, Sarkozy se sent pousser des ailes.
Jeudi, la journée se voulait diplomatique. Sarkozy avait organisé son show. Une grande conférence avec les représentants de 60 pays pour discuter de l'avenir de la « nouvelle » Libye. Le colonel Kadhafi est toujours introuvable, mais il multiplie les interventions radiophoniques. Quelques-uns de ses proches ont trouvé refuge en Algérie. Les rebelles ont pris le pouvoir. Les autorités françaises aimeraient se réserver une belle part des futurs contrats de la reconstruction. Ce n'est pas gagné. Quand un journal évoque que le CNT aurait promis 35% du pétrole libyen à la France, ce dernier dément.
Vendredi, enfin, l'Union européenne a décrété un embargo sur les importations de pétrole syrien. On imagine que la « libération » de la Libye a grandement aidé à la décision...
Et en France ? On avait presque oublié la crise financière, les menaces sur notre fameuse note de crédit et le faux débat sur la règle d'or. A l'Assemblée, le président Accoyer déconseilla à Sarkozy de convoquer le Parlement en Congrès à Versailles pour « constitutionnaliser » la fameuse règle. Il craignait un échec. D'autres députés UMP s'énervèrent contre un manuel scolaire du collègue qui évoquait la théorie des genres. Tout était bon pour divertir l'opinion. L'INSEE venait de publier de nouvelles statistiques sur la pauvreté: + 337.000 pauvres en un an ! Davantage d'actifs, de travailleurs, de chômeurs et de ménages modestes sont tombés sous le seuil de pauvreté en 2009, la grande année où Sarkozy-le-grand nous avait pourtant si bien protégé contre la crise! On avait presque oublié la promesse de Nicolas Sarkozy, en mai 2007, de la « réduire d'un tiers en 5 ans ».
Au quotidien Libération, la ministre des solidarités et de la cohésion sociale Roselyne Bachelot fut également obligée de concéder que la réforme sur le financement de la dépendance « est reportée », faute d'argent. La grande promesse de Sarkozy pour l'année 2011 est déjà plantée. Dans les Vosges vendredi, lors d'un déplacement raté faute d'actualité, Nicolas Sarkozy s'excusa de la progression du chômage. Sa défense faisait peine à voir. C'était un candidat usé, frustré, politiquement castré, qui plaidait pour « 20.000 » contrats aidés d'ici la fin de l'année pour lutter contre le chômage. 20.000, c'est à peine l'augmentation mensuelle des sans-emplois de la catégorie A ces mois derniers... « On va acheter la baisse du chômage », commenta tristement un ministre à Arnaud Leparmentier, l'envoyé spécial du Monde.
Vendredi, l'UMP ouvrait son université d'été, rebaptisée « campus », pour faire plus jeune et moderne. L'avant-veille, quelques députés UMP avaient retiré l'augmentation de la TVA sur les parcs à thème du mini-plan de rigueur Fillon/Sarkozy, avant son examen en séance plénière la semaine prochaine. Jean-Pierre Raffarin s'était aussi mobilisé contre ce relèvement de TVA. Jeudi matin, Sarkozy l'a qualifié d'« irresponsable » lors du « petit-déjeuner de la majorité », cette réunion hebdomadaire à l'Elysée d'où le Monarque pilote son camp. Averti, Raffarinministre annonça qu'il quittait les instances dirigeantes de l'UMP. A quelques heures de l'ouverture du campus de l'UMP à Marseille, ça faisait mauvais genre. Lionnel Luca, chantre de la Droite Populaire, le traita de « Has-Been qui pèse » et « ringard qui aurait mieux fait de rester en Chine ».
Mais qui tient cette boutique ?
L'Elysée mobilisé
Officiellement, la campagne sera courte, Sarkozy n'a toujours pas pris sa décision. Certains, peu nombreux, lui déconseillent encore d'y aller. En coulisses, la mobilisation est totale. Une dizaine de conseillers sont ainsi complètement dédiés à la cause électorale de Nicolas Sarkozy.
A l'Elysée, l'équipe est prête et au travail. Les moyens déployés pour surveiller et comprendre l'opinion ne finissent pas de surprendre.
Le Monarque a toujours ses trois conseillers politiques, payés par les contribuables : Pierre Giacometti, Jean-Michel Goudard, et Patrick Buisson. Se sont ajoutés Alain Carignon, ancien ministre et ancien condamné ayant purgé sa peine, qui fait désormais l'interface avec les milieux médiatiques et culturels, et Brice Hortefeux, conseiller officieux pour cette nouvelle campagne de France. Jean-Baptiste de Froment, le tout jeune conseiller « éducation » du Monarque, vient de reprendre la charge des sondages élyséens. A l'extérieur, l'Elysée rémunère aussi Guillaume Peltier, un ancien du FN et du MPF, reconverti dans l'analyse de l'opinion. Il y a toujours Opinionway, l'institut mis en cause en 2009 pour ses sondages secrètement payés par l'Elysée et publiés par le Figaro. Deux de ses responsables viennent d'ailleurs de sortir deux livres d'auto-défense et de contre-attaque. Il y a même quelques anciens ou actuels personnalités des médias, agités depuis quelques mois, pour bâtir les bons argumentaires.
Qu'un président de la République ait quelques conseillers politiques pour l'aider à mener à bien ses réformes ne surprend personne. Mais l'on a quelque peine à croire que Buisson, Giacometti, Peltier, Froment, Hortefeux, Buisson ou Goudard sont ainsi payés pour conseiller Sarkozy sur la conduite des opérations en Libye ou l'animation du G20.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Regarde TF1, dimanche soir. La Première Dame Carla, « très enceinte » t'expliquera comment se passe sa grossesse.
En quasi-direct de l'Elysée.