Pour vous situer…
C’est l’histoire d’un homme qui voulait juste en finir, s’acheter une arme et se tirer une balle dans la tête. Mais à la suite d’un bug informatique à l’armurerie, il doit patienter quatre jours avant de posséder l’arme. Durant cette waiting period, il reconsidère son projet et décide que d’autres que lui méritent ce sort. Il retrouve alors une raison de vivre en débarrassant le pays « des salauds » qui pourrissent la vie des gens bien. À commencer par ce bureaucrate chargé de veiller aux intérêts des anciens combattants et qui les floue en permanence ! Et après ? Après, il verra, mais une chose est sûre, les candidats sont nombreux. C’est l’histoire d’un démon dans l’Amérique d’aujourd’hui, un démon ordinaire qui refuse de mourir.
Ma vision de ce roman
J’ai été littéralement happé par Selby et par son style atypique : pas de chapitre pour structurer le roman et rythme saccadé, décousu… Jugez plutôt avec, par exemple, ce qu’il fait dire à son narrateur au sortir de l’armurerie sans l’arme désirée :
“Et me voilà ici à présent à attendre. Le système pourri ne fonctionne pas. Toujours le système. Impossible d’y échapper. Cette saleté de vie merdique. Veut juste me torturer. Je trouve enfin un but à ma vie et ils font tout capoter. Me laissent même pas me suicider bon dieu de merde. Quelle sorte de folie est-ce là ? Ils continuent de vous presser jusqu’à ce qu’il reste rien.”
Cette écriture vive, composée de courtes phrases, nous fait vraiment participer au cheminement de la pensée du personnage. Ca va très vite.
C’est, en plus d’un roman volontairement provocant et dérangeant, une vraie réflexion sur la société américaine, et plus largement sur la société occidentale, et ses travers… Par exemple, sur la religion :
“C’est toujours ça l’essence et la dynamique de la torture… la menace de la mort qui n’arrive jamais. Rien que la douleur. Avec le temps c’est la promesse de la mort qui est torture. Comment la vie en est arrivée là ? A-t-elle été créée ainsi ? On dirait que oui. Si on en croit la Bible. Depuis le tout début ils se sont entretués. Des milliers et des milliers d’années avant l’autre sémite. Les chrétiens étaient des bleus côté meurtre, massacre, viol et pillage. Mais ils ont vite appris. Faut leur reconnaître ça. Mais pas pire que les autres. Oh, et alors ? Quelle importance. Les gens trouvent toujours un moyen de justifier les meurtres qu’ils commettent. Ça fait partie du fondement de toutes ces religions, la justification. Faire tuer son ami pour avoir sa femme peut se justifier quand vous croyez que c’est au nom de dieu… ou alors j’ai agi sous l’emprise du malin. Les deux marchent. Créez un système de croyance pour justifier l’assouvissement de vos instincts. Peur des homosexuels et des femmes ?? devenez un chrétien fondamentaliste et dites-vous que dieu vous a expliqué qu’ils étaient le mal, du coup on a le droit de les tuer.”
Ou, autre chose, plus proche de notre quotidien,et tout aussi criant de vérité :
“Suis toujours étonné de voir à quel point la plupart des automobilistes sont irréfléchis. Un peu de courtoisie réciproque empêcherait 90 % des accidents. Simplement laisser la priorité à l’autre. Bon sang, on pourrait croire que leur vie dépend d’un simple dépassement. Déboîter en permanence, faire des queues de poisson bon sang pas mettre son clignotant, quoi que vous fassiez ne pas prévenir espèce de pauvre crétin de merde, passer son temps à serpenter, changer dix fois de voie, du joli, peut-être provoquer quelques accidents, voire tuer quelques personnes, mais on s’en fout, la rue est à vous alors vous n’avez qu’à faire ce que vous voulez et quoi que vous fassiez, n’allez pas jusqu’à vous donner la peine de mettre votre clignotant, de grâce, de grâce, je sais que ça demande trop d’énergie alors vous faites pas chier, par pitié, vous emmerdez pas roulez comme bon vous semble et ne mettez jamais votre cligno pauvres connards de merde bon sang la courtoisie ça veut plus rien dire pour ces enfoirés, vous rentrent dedans puis s’éclipsent tranquillement, le doigt dressé vers les cieux, expédier quelques-uns de ces salauds en enfer, bon sang je déteste ces sinistres cons, oh merde, je dois me rabattre pour tourner à gauche, espèce d’enfoiré, pourquoi tu me laisses pas passer triste connard de mes deux oh je les déteste, ils voient bien que j’essaie de me rabattre qu’est-ce que vous croyez que ça veut dire ce clignotant, que ma bagnole a la maladie de Parkinson allez vous faire foutre, je vais rester ici jusqu’à ce que quelqu’un me laisse passer, ils peuvent bien klaxonner tout ce qu’ils veulent j’en ai rien à foutre que derrière ils soient tous coincés (…)”
C’est une plume vraiment atypique qui nous pousse à une réelle réflexion sur nous-mêmes. Je recommande donc vivement cet opus qui m’impose la mise sur ma LAL de Last exit to Brooklyn !
POUR ALLER PLUS LOIN
Extrait du Livre | Site de l’Éditeur
Waiting period
Hubert Selby Jr.
Éd. 10/18, 2007
256 pages