Contexte
En cette époque tristement obscure où l'on n'avait pas encore inventé la démocratie des riches, les droits de l'homme blanc, l'inégalité sociale du pauvre et le RSA des misérables, donc en cette triste époque pourave régnait la loi du plus fort et du plus né dans les bons hospices (heureusement que ça a changé aujourd'hui). Aussi les plus faibles et les plus nés sous de mauvais augures n'avaient point beaucoup d'autre ressource que la religion, laquelle leur apportait espoir, réconfort et semblant de justice, plus tard, une fois au ciel. Hors justement, nous étions à l'aube du grand schisme d'Occident, de la grande politisation de l'église s'immisçant dans les affaires de l'Europe, à l'aube de la réforme qui voulait ramener l'église vers la grâce de dieu alors que la prélature romaine, elle, souhaitait rester sous la grâce du grisbi. Et l'église, comme la société (et l'Euro), étaient en crise. Pas de terreau plus fertile pour voir naître dans les villes des hordes de prédicateurs, moralisateurs, annonciateurs, visionnaires, sermonnaires, missionnaires... bref, des cohortes de charlatans patentés, détenteurs d'une vérité absolue, qui leur fut généralement délivrée par une autorité céleste notoire lors d'une vision pour le moins discutable. Notre boug' de Jean-Tout-Amour était en partie de ceux-là, z'allez voir.
"Jan Milíč z Kroměříže" naquit on ne sait quand dans une famille on ne sait quoi de classe modeste. L'on s'accorde cependant à penser que sa naissance aurait pu se situer entre 1320 et 1325. De son enfance ni de ses études l'on ne sait rien (d'aucune source affirme que "Milíč" aurait fréquenté l'école cathédrale de "Olomouc", mais selon d'autres historiens, c'est pure spéculation), et c'est d'autant plus surprenant qu'entre 1358 et 1360, il fut inscrit au registre des employés de la chancellerie royale, en 1360 comme correcteur, et entre 1360 et 1362 comme notaire du bon roi Charles IV au titre de laquelle fonction il accompagna plusieurs fois le "Pater patriae" (titre que l'on donne ici, en Bohême, à notre bon roi Charles IV) en terres germaniques. Tout ceci laisse donc à penser que le Jean était lettré, instruit, pour le moins compétent, et fort probablement intelligent. Il commença ainsi à faire son trou dans la haute, à se créer son "network" social (ce qui lui sera fort utile par la suite), au point qu'en janvier 1361, après requête de l'évêque de "Litomyšl" Jean IX ("Johannes Noviforensis") accessoirement chancelier de notre bon roi Charles IV, le pape Innocent VI lui (à Jean) octroya la promesse d'une sinécure dès qu'icelle se libérerait en l'archevêché de Prague. Jean devint donc sacristain et chanoine auprès de St Guy, vers la fin 1362, début 1363 au plus tard (certaines sources mentionnent encore la fonction d'archidiacre et webmaster du site StGuy.cz mais sans certitude aucune). Il abandonna donc les charges liées à l'administration royale afin de se consacrer pleinement à ses fonctions de prélats, tâches qu'il prit à bras le corps dans une optique d'excellence dans le poste, comme dirait mon manager.
"Jan Milíč z Kroměříže" commença tout d'abord ses prêches en l'église St Nicolas petit-côté, puis en St Gilles vieille-ville, en langue vernaculaire (en Tchèque) afin de se faire comprendre de la majorité. Débutant, ses premiers sermons firent marrer la populace, et attirèrent plus le rire que la réflexion. Les prônes de Jean étaient tellement... avec un tel accent morave (à Prague), que les gosses lui jetaient des pierres et ses amis (s'il en eut) l'exhortaient à cesser cette comédie loufoque. Mais pas plus qu'on ne peut faire boire un âne qui n'a pas soif, l'on ne peut pas faire taire un prédicateur qui n'a pas faim (ah ouais?). Jean s'acharnait de plus belle contre l'orgueil, l'avarice et la luxure du sexe libidineux dans lesquels vices, il voyait l'origine des maux de la société praguoise. Et surtout les ordres mendiants en prenaient grave sur leur râble. Qu'ils s'immisçaient indûment dans la vie séculière en procurant confesse, en pratiquant simonie, et en accumulant biens matériels. Et c'est mal. Un ensoutané régulier n'a pas à fourrer son gros blaire dans les affaires séculières.
Pis un jour, par manque de nourriture, par manque de sommeil, par manque d'hygiène corporelle comme mentale, et surtout par injection de Jésus-Marie-Joseph en intraveineuse, Jean péta les plombs des boyaux de sa tête. Fasciné par la lecture du livre de Daniel relatif à l'apocalypse, Jean eut soudainement des visions eschatologiques (et ce n'est pas caca), et se mit à prophétiser l'arrivée de l'antéchrist entre 1365 et 1367. Mieux, lors de ses délires verbaux devant les Praguois de plus en plus nombreux (on se demande bien pourquoi), il montrait du doigt le château, n'hésitant pas à nommer notre bon roi Charles IV d'antichristus magnus. J'hallucine. L'ascète dérangé alla si loin dans ses propos, qu'en 1366, l'archevêque de Prague Jan Očko z Vlašimi le fit mettre au gnouf afin qu'il refroidisse de la tête. Curieusement, Charles IV s'en foutait un peu des calomnies. D'abord parce qu'il n'en était pas à un crétin près (cf. l'affaire Cola di Rienzo, qui voulait entraîner l'empereur dans une guerre libératrice et unioniste contre l'Italie), ensuite parce que le roi était persuadé que nul être censé ne pouvait donner crédit à de telles stupidités.
Alors les sources sont confuses sur les raisons qui le poussèrent à se rendre chez le papàrome, cependant à peine sorti de taule, Jean prit la route de la ville éternelle, où il arriva en avril 1367. Mais pas de bol, Urbain V vivait toujours à Avignon, où il avait ses quartiers depuis lurette, et malgré les rumeurs de retour à Rome, le pontife ne manifestait aucune diligence particulière à mouvoir sa smala en Ritalie. Du coup "Jan Milíč z Kroměříže" s'ennuyait ferme, lisait, priait et déboîtait toujours aussi grave de la pulpe. C'est ainsi qu'un jour, il alla placarder sur la porte de la basilique St Pierre une annonce bien visible, comme quoi il allait prêcher à propos de l'antéchrist, et que le bon peuple de Rome était grandement invité à venir ouïr la bonne parole par Jean délivrée. Bien entendu, une si belle publicité ne mit que quelques minutes à tomber dans l'oreille de l'inquisition, et notre bougre de Jean fut mis à nouveau au gnouf dans la basilique Sainte-Marie d'Aracoeli, afin qu'il raconte bien comme il faut de quoi qu'il avait l'intention de parler, que ça sentait mauvais l'hérésie, et qu'avec quelques violences proprement appliquées aux endroits sensibles, qu'on y verrait nettement plus clair dans ses diaboliques intentions de provocateur capitaliste à la solde de l'Amérique. Il fut pourvu d'un stylo, d'un cahier, et fut invité à déposer sur papier ses desseins. C'est d'ailleurs ce qu'il fit, et avec tant d'enthousiasme zélé, qu'entre les prières et les auto-flagellations, il ne s'en sustentait plus. Les gardes-chiourmes prenaient même des paris sur la date éminente de son expiration ultime. Mais la foi apparemment nourrit, et Jean survécut. Il en termina même ses délires, qui, selon mes sources, seraient le fameux "Sermo de die novissimo", disponibles encore aujourd'hui dans toutes les bonnes librairies. Sa thèse terminée, il fut invité par les prélats romains à la soutenir (sa thèse). Fort de sa rhétorique et de ses aptitudes de communicateur, il obtint un tel succès, que ses auditeurs, subjugués, voulurent en savoir plus, encore plus, sur la fin du monde comme sur ce démon mystérieux qu'on nomme antéchrist. Il acquit alors le statut d'écrivain romancier, et ses conditions au gnouf s'assouplirent. Naquit alors la suite de ses précédents écrits, le "Libellus de Antichristo". Attention, le "Milicii Libellus de Antichristo", parce que le moine "Adso Dervensis" (Adson de Montier-en-Der, un Français, que vous n'alliez pas croire que la démence est spécifique aux Tchèques) a également écrit sur l'antéchrist dans son "Adsonis (abbatis Dervensis) libellus de Antichristo". A nouveau succès immense en librairies, et vraiment, on se demande bien pourquoi. Extrait: "Hiis consideratis dixi spiritui, qui in me loquebatur: Quis est Antychristus? Et respondit: Antychristi multi sunt, et qui solvit ete negat Christum, Antichristus est". Moi j'dis que si l'on avait continué à expliquer le monde cette façon, l'on vivrait encore dans les arbres de la cueillette des fruits et de la chasse à la baleine. Bref, "Milíč" livra encore quelques unes de ses idées apocalyptiques, mais surtout pas toutes, au motif qu'il les réservait exclusivement au pape et à News of the World. Ca agaça fâcheusement ses admirateurs curieux, mais avant même qu'iceux ne puissent lui coller les roupettes sur la gégène, Urbain V était de retour à Rome le 16 octobre 1367, et mis au fait de l'affaire "Jan Milíč z Kroměříže".
De retour à Prague, blanchi, lavé, et confiant en soi, "Jan Milíč z Kroměříže" reprit ses prêches cinglantes à la grande joie des Praguois qui n'avaient visiblement rien d'important à glander, mais au grand dam des moines mendiants qui pronostiquaient dans toute la ville que Jean serait un jour prochain brûlé. Mais celui-ci n'attachait aucune importance à ces diffamations, et continuait à beugler la bonne parole en St Nicolas vieille-ville en Latin (pour les instruits), en St Gilles en Tchèque (pour la plèbe), puis plus tard, en Ste Mère de dieu devant le "Týn" en Germain (pour les Germains). Mais sporadiquement en Germain, quelques minutes seulement, parce que le Germain, il l'avait appris comme ça, avec un de ses étudiants au troquet, en dilettante, et que le prêche en Germain, c'est quand même un vrai métier pour lequel "Konrád Waldhauser" avait spécialement été appelé depuis Vienne par notre bon roi Carolus Quartus.
En fin d'année 1369, Jean "Milíč" reprit la route de la capitale du monde, mais l'on ne sait réellement pour quel motif (selon certains, il aurait oublié sa savonnette dans la douche du cardinal Anglic de Grimoard). Mais à l'annonce de la mort de son pote Conrad en début décembre de cette même année, Jean revint à Prague. Il récupéra tout naturellement les ouailles de son potes décédé, et fort de sa pratique active de l'Allemand, il se mit à prêcher régulièrement en cette langue du haut de sa chaire de l'église Ste Mère de dieu devant le "Týn". Au fur et à mesure qu'il voyait les jeunes, les étudiants, les futurs prêtres tendre leurs oreilles vers sa bouche, l'idée de fonder une école du prêche lui traversa l'esprit.
Pis l'année 1372, sourit à Jean à pleines dents. Dans un lupanar du quartier malfamé appelé Venise (de par la misère, la débauche, la crasse qui y régnait, comme à Venise) éclata une violente dispute entre des domestiques de la cour et des vauriens locaux. L'affaire eut pu rester anodine, si elle ne fut remontée aux oreilles de la reine, Elisabeth de pomme et radis, pourvue d'une force légendaire pouvant briser des épées de ses mains nues (pour vous dire qu'il valait mieux ne pas lui tenir tête). Cette dernière, extrêmement pieuse, piqua une colère du tonnerre di diou, et s'en alla se plaindre à son bon roi Charles IV de mari, lequel extrêmement pieux itou fit immédiatement fermer l'établissement, avant de le remettre entre les mains vertueuses de "Jan Milíč z Kroměříže" (selon certaines sources, celui-ci aurait déposé auprès du roi une demande d'attribution d'une habitation à loyer modéré sinon nul, pour sa bonne cause). Ainsi "Milíč" fonda céans une communauté appelée "nouveau Jérusalem", où vinrent s'établir les protégés de l'ascète, les gourgandines comme les apprentis casse-roupettes. En septembre 1372, il consacra dans le bâtiment une chapelle dédiée à 3 saintes qui exerçaient également le plus vieux métier du monde avant de revenir sur le pavé du droit chemin: Ste Marie Madeleine, Ste Afre d'Augsbourg, et Ste Marie d'Egypte. Puis fort de son succès, grâce aux dons de généreux mécènes et aux legs de malheureux décédés, il fit encore construire autour de cet édifice originel des habitations pour les dames d'un côté, pour les messieurs de l'autre. La communauté de Jérusalem aurait compté jusqu'à 200 filles de mauvaise vie repenties (parfois 300), et qui vivaient là, avec les apprentis théologiens, dans une congrégation semi-régulière et dans plus d'une vingtaine d'habitations appartenant à la confrérie. Au menu: communion journalière, sermons constants, mise en commun de tous les biens, prières et lavage des pieds avant d'aller au lit.
Et justement, ce fut un des prétextes pour les opposants de "Milíč", d'aller lui reprocher ses dérives sectaires. Parmi les griefs, le principal étant qu'il semblait essayer de faire naître une nouvelle congrégation de gens zarbis sans l'autorisation papale. Mais fort de sa réputation, de ses liens avec les divers pouvoirs, rien ne semblait pouvoir menacer Jean à Prague. Aussi ses détracteurs rédigèrent un pamphlet en 12 points, qu'ils envoyèrent directement au papàrome à Avignon (Urbain V, fatigué par les querelles ritales, était revenu en Avignon en 1370 où il s'éteignit en fin d'année.
Mais "Milíč" tomba soudain malade dont on ne sait quoi (des pousses de concombre espagnol?). Et la maladie semblait coriace, parce que notre ascète se mit à écrire des lettres d'adieu à ses amis, à ses connaissances, à ses protégés, et même au cardinal d'Albano qui aurait essuyé une larme à réception de la missive ("[...] ipsam cum lacrimis perlegendo [...]"). Jean-Tout-Amour décéda soit le 29 juin, soit le 1er août 1374 (ou même encore un autre jour, allez-savoir), et fut enterré à Avignon, en la cathédrale selon certaines sources, en une église non nommée selon d'autres. Toujours selon certaines sources, sa sépulture aurait disparu lors de la révolution française, non pas, selon d'autres (si vous habitez Avignon, si vous avez des informations, contactez-moi s'il vous plaît). Entre temps à Prague et en son absence, ses détracteurs s'activaient comme des diables, et de plus belle encore après l'annonce se sa mort. Et ils vainquirent. Quelques mois plus tard seulement, fin 1374, Jérusalem fut fermé par décret royal, et les édifices offerts aux cisterciens afin d'y fonder le collège St Bernard, annexe de l'université Charles. Lors des guerres hussites, le complexe tomba en ruine, et les parcelles furent ensuite revendues. Après la bataille de la montagne blanche, les jésuites construisirent sur cet emplacement un autre collège (internat), qui devint encore plus tard le palais "Konvikt" (du Latin "convictus", vivre ensemble, internat, collège...) où se trouvait une école d'orgue fréquentée pendant 2 ans par l'élève, puis par le directeur "Antonín Dvořák". Jérusalem reposait donc entre les rues "Konviktská" (originellement rue de la Ste Croix, puis "Dolní Konviktská" rue basse de l'internat, et enfin rue de l'internat tout court, lorsque la rue haute de l'internat prit le nom de St Bartholomé) et "Bartolomějská" (originellement "Benátská", rue de Venise, puis "Jeruzalémská" entre le XIV et XVIII ème siècle, ensuite "Horní Konviktská" rue haute de l'internat, et enfin rue de St Bartholomé de par l'église céans).
Bien que les fouilles aient découvert des débris de maisons datant du XII, XIII et XIV ème siècle, aujourd'hui vous ne verrez plus rien de ce que le Jean fit construire (je vous ai mis cependant quelques photos de l'emplacement, histoire que vous puissiez voir qu'il n'y a vraiment rien à voir).
De ses disciples, hormis "Matěj z Janova", rien de bien particulier non plus. Signalons par ailleurs que "Matěj" n'était ni ascète, ni végétarien, et qu'il laissa tomber le prêche lorsqu'à force de critiquer les mitrés, ces derniers l'interdirent de sermon sous peine de gnouf les noix au grill. Il en profita alors pour écrire une biographie complète sur notre "Milíč": "Narracio de Milicio". Il existe cependant une autre biographie, 6 fois plus volumineuse que la précédente et qui fait référence: "Vita Milicii (venerabilis presbyteri)", mais on en ignore l'auteur (cf. l'épilogue). "Milíč" fut encore suivi du fameux "Jan Hus", mais pareil, ce n'était pas la même trempe ("Hus" finit au bûcher, ce bougre de maladroit). Ah si, mentionnons encore "Tomáš Štítný ze Štítného", un des premiers écrivains en langue Tchèque (considérée alors comme un dialecte de la zone en banlieue), et qui fut influencé par notre ascète sans pour autant laisser des traces significatives dans l'histoire de notre pays.
"Jan Milíč z Kroměříže" ouvrit la voie au hussisme, au point qu'on le surnomme le père de la réforme tchèque. Il fut l'un des tout premiers à dénoncer les malversations, la simonie, et le pourrissement des principes de l'église catholique. Il fut l'un des tout premiers à prêcher en langue vulgaire, et à se tourner vers les pauvres et les démunis. D'un point de vu humain, nul doute que Jean-Tout-Amour était une personnalité remarquable, pour peu que vous eussiez fait abstraction du fumet nidoreux qui l'entourait. Le nombre de personnes de haut rang qui l'admiraient, le soutenaient, le protégeaient en sont des preuves irréfutables. Maintenant d'un point de vue comporte-mental, je laisse à chacun le soin de se faire sa propre idée.
La scène
Le tableau de 405 x 620 cm (en couleur) peint en 1916 présente les restes du lupanar dit Venise, et dans le fond sur la gauche la fameuse rue aujourd'hui "Konviktská". Au centre, sous les échafaudages symbolisant la construction du sanctuaire Jérusalem, "Jan Milíč z Kroměříže" en robe bleu-nuit. Notez la lumière centrale nettement plus lumineuse que sur les côtés du tableau, afin d'auréoler la vedette. Bien que sa bouche semble paradoxalement fermée sur la croûte, il enjoint les pécheresses à faire pénitence et à retrouver le boulevard du droit chemin vertueux en suivant la parole du seigneur. Notez comment les femmes proches du héros sont vêtues de blanche draperie afin de signifier leur chasteté retrouvée, tandis que d'autres abandonnent leur bijouterie, symbole de leur frivolité et leur vie dépravée. Notez également que la scène se passe en hiver, alors que la ville elle-même est revêtue d'un blanc manteau (de neige), allusion à la pureté, à l'innocence, à la lessive, etc...
Son oeuvre
Des oeuvres de "Milíč" écrites en latin, l'on conserve encore aujourd'hui:
- le susmentionné "Libellus de Antichristo" et sa suite,
- le susmentionné "Sermo de die novissimo", toutes 2 oeuvres écrites en taule, la moisissure sur vélin en témoigne.
- Les "Abortivus at alii textus, praecipue auctoritatum", et les
- "Sermones synodales" recueil de sermons comme les
- "Sermones de sanctis per circulum anni super" ou
- "Quadragesimale" (sermons spécial carême), souvent regroupés sous l'appellation "Gratiae Dei".
- "Epistula ad papam Urbanum V" lorsqu'il invita le pape à lever un synode pour reprendre la situation en main.
Et c'est tout. "Bohuslav Balbín" (XVII ème siècle) aurait eu entre ses mains des correspondances avec Grégoire XI (le pape), Charles IV (le bon roi), Anglic (le cardinal) ou encore des membres imminents de la famille "Rožmberk", mais aujourd'hui nulle trace de ces documents existe. Ils furent encore mentionnés par le bibliothécaire de l'université Charles IV, "Karel Rafael Ungar" (fin XVIII ème siècle), éditeur des oeuvres inachevées de "Bohuslav Balbín" (cf. "Supersunt Milicii manuscriptae epistolae"), mais l'on ne sait pas dire s'il aurait eu ces documents entre ses mains ou non. Pas même "František Palacký" (mi XIX ème siècle) ne put mettre la main dessus, et dieu sait qu'il s'employa à leur localisation, des documents.
Epilogue
Et donc cette belle histoire, c'est ce que l'on apprenait à l'école. C'est sur le thème de quoi "Alfons Mucha" peignit sa croûte, et cette version officielle reçut l'approbation de la plupart des historiens de renom puisque basée en grande partie sur la "Vita venerabilis presbyteri Milicii, praelati ecclesiae Pragensis", publiée par "Bohuslav Balbín" dans ses "Miscellanea historica Regni Bohemiae". Et "Bohuslav Balbín" c'est d'la bombe. Indiscutable, puisqu'il était jésuite. Mais voilà. Ce dernier aurait retrouvé à "Třeboň" un texte anonyme daté du XIV siècle, et l'aurait reproduit dans son oeuvre susmentionnée. Malheureusement le texte d'origine est introuvable, et ce depuis plusieurs siècles. Or récemment, sur les bases de certains doutes, de l'introuvabilité des textes originels, comme sur la base de nombreuses similitudes avec d'autres oeuvres, les historiens récents ont émis des réserves quant à la véracité de la version Balbínienne (cf. "Peter C. A. Morée: Preaching in Fourteenth-Century Bohemia: the Life and Ideas of Milicius De Chremsir and His Significance in the Historiography of Bohemia", "Zdeněk Uhlíř: Legenda Oriente iam sole II v hagiografické tradici 13. - 15. století" et "Jana Nechutová: Latinská literatura českého středověku do roku 1400"). Mieux, "David C. Mengel" a carrément retrouvé les textes originels qui ont inspiré cette histoire, et émis une hypothèse qui tient sacrément la route sur qui, et pourquoi, de l'histoire pas forcément vraie. Ce remarquable texte est disponible en ligne et en Anglais. Et pour ceux qui ne lisent pas l'Anglais, succinctement: l'histoire de "Jan Milíč z Kroměříže" publiée par "Bohuslav Balbín" serait peut être un peu fondée sur le fameux "anonyme" de "Třeboň" (pour peu qu'il eut existé), en tout cas largement inspirée-complétée de 3 autres oeuvres fondamentales (entres-autres):
- les "Vita Prima" et "Vita Secunda" de Bernard de Clairvaux, biographie (hagiographie) de l'inventeur des cisterciens, oeuvre de plusieurs auteurs contemporains du Bernard, en particulier de son secrétaire Geoffroy d'Auxerre.
- les Homélies sur Ézéchiel de Grégoire le gland, l'inventeur des chants grès-vauriens.
- et l'incontournable "Chronica Boemorum" de Cosmas de Prague.
Alors l'original largement inspiré-complété par qui, et pourquoi? Ben tiens, par "Balbín" lui-même. Les historiens ont déjà mis en doute ses écrits sur St Jean de Népomucène, de par le fait que les documents dont il prétend s'être inspiré sont introuvables (une fois de plus). Il ne restait plus qu'à trouver le mobile de la fraude. Mais remis dans le contexte Balbínien, la cause est entendue: patriotisme. Réhabiliter le pays aux yeux des Habsbourg (et des autres cathos) après la bataille de la montagne blanche.
Maintenant est-ce à dire que tout serait faux? Non, loin de là. Il est même probable que le texte de "Třeboň" ait réellement existé. Cependant quelqu'un (et qui d'autre sinon le jésuite "Balbín") l'aurait adapté, enrichi de saintes hagiographies afin de présenter notre ascète "Milíč" sous un angle catho-sacré. Cependant certains faits, jusqu'à présent considérés comme avérés, doivent être remis en question. Premier fait. Juste avant la mort de "Milíč", sa disculpation par le pape des charges d'hérésie prononcées contre lui en 1374 par les calotins praguois. Je ne vais pas m'étendre sur les raisons des doutes, mais elles sont nombreuses et justifiées. Le simple fait que Jérusalem fut liquidé si vite par le bon roi Charles IV, qui pourtant était pote à Jean, laisserait à penser qu'une certaine bulle papale pour motif d'hérésie aurait pu être rapidement délivrée à Prague. Second point curieux. "Milíč" aurait appris l'Allemand qu'à l'âge adulte, en cours du soir, avec ses potes étudiants, afin de mieux prêcher auprès des brebis germaines. Attends, un p'tit gars de Moravie, qui aurait servi le roi de Bohême, accessoirement empereur du St empire romain-germanique, pendant plusieurs années en tant que gratte papier, mais aussi comme accompagnateur en visite impériale, un pote de "Konrád Waldhauser", et il n'aurait pas choucrouté un mot d'Allemand avant d'avoir des poils? Ici encore l'on peut sentir la plume de "Bohuslav Balbín", ardent défenseur de la langue tchèque, souhaitant présenter son "Milíč" comme un saint tchécophone, aucunement germanophone.
Bon, la recherche de la vérité véritablement vraie est en route, concernant la vie de "Milíč", mais la trouvera-t-on un jour? Et si oui, ou non, ne s'en fout-on pas un peu quand même non plus? Sinon comme dit, d'un point de vue architectural, il n'en reste plus rien, des traces de l'époque de "Jan Milíč z Kroměříže". Mais si vous souhaitiez tout de même aller humer l'odeur d'où que la scène du tableau se situait il y a quelques 650 ans de cela, dirigez votre nez vers 50°5'1.258"N, 14°25'2.821"E.