Pirates !!

Publié le 02 septembre 2011 par (dé)maquillages @demaquillages

Je me demande parfois dans quel monde on vit... Certains se permettent vraiment tout et n'importe quoi. Sous prétexte d'un principe de "liberté", ils copient-collent le travail des autres, profitent de la notoriété d'autrui, le tout en se revendiquant haut et fort "pirates" et fiers de l'être !!

J'ai été contactée il y a quelques jours par une petite marque de parfums, Pirate Parfum, qui se dit être "en quelque sorte un concept qui essaye de se lancer en cherchant des blogueurs pour parler d'[elle]".

Nouveau concept ? OK, ça m’intéresse !!

Je me rends sur le site de la marque pour en savoir plus sur le fameux concept :

"Trésor jalousement gardé des capitaines d’industrie devenus maîtres du marketing, le parfum est désormais libre. Cette libération, les plus grandes fragrances la doivent à une poignée de francs tireurs, réunis sous le pavillon noir de Pirates Parfums. Des aventuriers armés simplement d’une idée, d’une vision : les essences n’ont jamais eu de propriétaires.
Mis au point par les nez de Pirate-Parfum, toutes vos essences se révèlent à nouveau. Et cette libération s’opère à moindre coût. Radicale et intègre, Pirate-Parfum est la seule griffe qui peut prétendre à 95 % de produit pour 5 % de marketing. Alors que cette formule s’inverse complètement chez tous les autres.
"

Vous ne comprenez pas grand-chose ? Je vous explique plus clairement. Il s'agit en fait de copier de grands parfums et de proposer ces copies à moindre coût - un peu comme les vendeurs à la sauvette aux Puces de Clignancourt, mais en plus chic.

Dès la home page du site, on tombe sur un moteur de recherche qui permet de trouver une fragrance (très) proche de son parfum préféré.

J'ai entré, au pif, Le Mâle de Jean-Paul Gaultier, pour voir. Et voilà ce que propose Pirate Parfum.

Parfum Mykonos : "Produit concurrent composé des mêmes ingrédients principaux : Le Mâle, de JPG".

Alors, voilà.

Je comprends que ce concept puisse séduire dans cette époque anti-Hadopi / fuck the system, d'autant plus qu'il est amené avec beaucoup d'humour et un certain art marketing... mais zut, quoi !!! Quid du respect de la création artistique des nez qui ont mis au point ces grands parfums ? Quid de la valorisation de l'expérience et de l'imagination de ces parfumeurs, de ces mois passés en paillasse à enchaîner les essais pour trouver LE bon dosage ? Quid du travail de l'équipe marketing sur le concept du parfum, sa mise en valeur, sa communication ? Quid de cet argent dépensé et ce, pas que sur un parfum en particulier, mais sur la marque depuis sa création ?

Croyez-moi, je suis loin d'être ultra-capitaliste et je suis d'accord sur un point : on paye souvent beaucoup trop la publicité et le flacon, et s'il n'y avait que le jus, les parfums seraient vendus probablement bien moins cher. Mais ces parfums existeraient-ils sans la publicité et la notoriété chèrement (et honnêtement) acquise par ces Messieurs-Dames talentueux que sont/étaient Guerlain, Gaultier, Chanel et les autres ?

Le Directeur Marketing de Pirate Parfum explique en commentaire ici que "Le parfum c’est comme la cuisine au fond, la recette n’a pas de propriété intellectuelle, sa qualité provient de ses produits et de la manière dont on les assemble." Ce qui est complètement faux à mon sens, mais pas totalement faux d'un point de vue juridique, car il n'y a (c'est dingue !!) plus de droits d'auteur pour les parfumeurs depuis quelques années.

Le Directeur Marketing compare aussi ses copies à des médicaments génériques - et là, j'ai juste envie de dire qu'on ne sauve pas des vies avec du parfum.

Mais il n'y a pas que le copié-collé des jus qui pose problème.

N'est-ce pas abusif de n'exister QUE dans le sillage (ahah) de grands parfums ? De faire sa publicité et son blé uniquement sur la notoriété d'Autrui alors que l'on n'est rien, que l'on ne serait rien sans Autrui, et que Autrui a, encore une fois, travaillé énormément et avec beaucoup de talent, et dépensé des fortunes pour mettre au point son parfum et son image de marque ?

Voilà : Pirate Parfum profite (au sens financier du terme) du travail des autres. Et le revendique, en plus.

Clarisse Le Salver, une amie spécialisée en droit des marques à qui j'ai parlé de cette "affaire", m'a expliqué que la pratique de Pirate Parfum consiste en un "référencement du produit au moyen de la marque du produit original".

Cela veut dire que c'est en citant la marque du produit original, et uniquement grâce à elle, que Pirate Parfum capte le chaland. Si Pirate Parfum se contentait de donner la description du jus pour caractériser son produit à la vente (par exemple : « Famille olfactive : Oriental, Sous famille : Oriental, Fougère, Ingrédients-clé : Cannelle, Lavandin, Menthe Spearmint, Vanille »), il vendrait sans doute beaucoup moins de flacons qu’en citant la marque Le Mâle de Jean-Paul Gaultier !

Cette pratique, appelée « tableau de concordance » (on en apprend des choses, aujourd'hui, sur (dé)maquillages !), existe depuis longtemps.

Sous une forme basique, sur les marchés touristiques marocains, par exemple, ça donne ça :


Un tableau qui permet au consommateur d’associer la référence du parfum d’imitation au parfum original identifié par sa marque ("de style X").

Chez Pirate Parfums, c'est plus élaboré, mais juridiquement… C’est la même chose !

Pour info, cette pratique des tableaux de concordance a été récemment condamnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) , dans un arrêt du 18 juin 2009.

Je ne suis en aucun cas juriste ni juge, je me garderais bien de faire une comparaison stricte entre ces deux affaires et n'en tirerai aucune conclusion définitive, mais, pour finir sur mes impressions personnelles:

1/ Ce commerce me dérange, qu'il soit légal ou pas ;

2/ Je crois tout de même que les dirigeants de Parfum Pirate ont du souci à se faire, les marques sur le dos desquelles ils se font de l'argent surveillent le marché et ne devraient pas tarder à réagir.


PS : société domiciliée au Luxembourg... Pour être plus difficilement attaquable ?

Merci à Clarisse Le Salver du Cabinet Louisana Conseils en Propriété Industrielle
pour son éclairage juridique !